mercredi 18 septembre 2013

Vatican II est toujours d'actualité

50 ans après le concile
Vatican II est toujours d’actualité


L’Eglise, c’est quoi ? c’est qui ?
(Cf. la constitution sur l’Eglise)

Le Concile a redéfini l’Eglise à partir des  ses sources bibliques, si riches.  Finie, l’Eglise trop souvent réduite à ceux qu’on appelait « les hommes et les femmes d’Eglise », à savoir les évêques, les prêtres, les religieux. Car l’Eglise du Nouveau Testament, c’est le peuple de Dieu, c’est nous, tous les baptisés. Et ça change beaucoup de choses dans la façon de voir et surtout de vivre l’Eglise. Tous responsables, tous actifs, dans la variété des compétences et des charismes. Et les divers ministères -ordonnés ou non- retrouvent leur vraie mission de beau service pour la croissance de toute la communauté. Il fait bon vivre une telle Eglise. Qu’en pensez-vous ?


Et les autres chrétiens ? Une Eglise œcuménique
(Cf. le décret sur l’œcuménisme)

Il fallait tourner la page des hostilités, antagonismes et concurrences parmi les chrétiens et entre les Eglises. Le Concile l’a fait en faisant monter l’Eglise catholique dans le train du mouvement œcuménique. Ce n’est pas encore l’unité parfaite telle que Jésus l’a souhaitée en priant son Père à cette intention. Mais de beaux progrès ont été réalisés, dans la prière, dans le rapprochement des doctrines, dans de multiples rencontres et collaborations. Raison de plus pour ne pas relâcher les efforts, avec la grâce de Dieu, afin que tous les disciples du Christ soient réunis dans une Eglise vraiment universelle parce que réconciliée, « afin que le monde croie ». Vive l’œcuménisme !


Avec la Bible : la Parole de Dieu au centre de la vie 
(Cf. la constitution sur la révélation)

Et dire que trop souvent, dans le passé, la Bible nous a séparés au lieu de nous unir, de nous réunir ! Désormais, grâce au renouveau conciliaire, la Parole de Dieu est devenue plus accessible, notamment dans la liturgie et par des études et méditations à la portée de tous. Car cette Parole venue d’en-haut doit être vivante sur nos lèvres et dans nos cœurs. Accueillir ensemble la Parole de vie, c’est une très grande grâce, car c’est elle qui nous permet de marcher dans sa clarté sur les chemins de nos existences difficiles, en un monde troublé et troublant. Nous le savons mieux maintenant, comme dit un psaume : « Ta parole est une lumière sur notre route, la lampe pour nos pas. »


Aimer ce monde à la manière de Jésus
(Cf. la constitution sur l’Eglise dans le monde de  ce temps).

Les chrétiens sont dans ce monde, tel qu’il est, ce monde que le Christ est venu sauver et conduire dans le Royaume de Dieu. Les chrétiens sont pleinement solidaires de ls belle aventure humaine. Encore faut-il qu’ils s’activent dans la société en demeurant lucides et courageux. Le cadeau des chrétiens à leurs sœurs et frères humains, c’est de les aimer comme Jésus, donc aussi en luttant contre toutes les inhumanités qui blessent et parfois tuent la dignité humaine. Pas facile d’être à la fois pleinement partie prenante de notre histoire et critique à la suite des prophètes. La joie des oui, le courage des non, l’investissement pour élever le niveau d’humanité : telle est la mission des chrétiens, à commencer par les laïcs, qui veulent être de vrais disciples de Jésus tout en étant frères et sœurs de tous, avec priorité aux plus pauvres, malheureux et nécessiteux. 


Qu’est-ce qu’une paroisse « conciliaire » ?

Le concile Vatican II a-t-il changé la manière de « faire paroisse » ? Certainement, car les décisions du concile ne sont pas des paroles en l’air, mais des impulsions concrètes qui influencent encore notre pastorale. C’est tout bénéfice pour une Eglise qui cherche à être toujours plus fidèle à l’Evangile tout en étant bien en phase avec notre monde moderne. Des signes ne trompent pas : nos paroisses sont désormais l’affaire de tous pour annoncer l’Evangile, pour célébrer, pour animer la communauté, pour servir. Mais on peut certainement encore faire mieux, avec les énergies de l’Esprit et dans une attention toujours plus perspicace aux signes des temps. Que vous en semble ?

                                                           Claude Ducarroz



lundi 16 septembre 2013

Prédication à Notre-Dame du Vorbourg

Homélie
Nativité de Marie

« Bon anniversaire, maman ! »
Quel bonheur de pouvoir dire ainsi reconnaissance et affection à sa maman, quand on l’a encore à nos côtés ! Et combien parmi nous, n’est-ce pas ? aimeraient pouvoir le dire encore aujourd’hui, qui ont déjà dû la laisser partir dans les larmes, tout en gardant imprimé au fond de leur cœur ce visage bien-aimé, celui de la maman. Permettez-moi cette confidence personnelle que je peux partager avec vous, entre frères et sœurs et entre amis : ma mère est morte le jour de son anniversaire. Je lui ai dit « bon anniversaire » en lui fermant les yeux, le jour même de ses 77 ans.

« Bon anniversaire, maman Marie ! » C’est à cette fête que nous invite l’Eglise aujourd’hui en proposant le 8 septembre de célébrer la naissance de Marie de Nazareth. Même si, bien évidemment, personne ne connaît la date exacte de cette naissance. Il nous suffit de savoir qu’elle a bel et bien existé, celle qui fut et qui demeure la mère de Jésus et notre mère.

* Fêter une maman, c’est lui dire merci pour ce quelle est ou ce qu’elle fut, avec cette tendresse unique qu’on réserve à celle qui nous a porté en elle avant de nous mettre au monde… et dans le monde.
* Fêter une maman, c’est tout faire pour rassembler toute la famille autour d’elle, car nous savons bien que c’est le plus beau cadeau qu’elle attend de la part de ses enfants.
* Fêter une maman, même imparfaite, c’est retenir le meilleur de sa vie donnée et essayer d’imiter ses exemples.
Nous pouvons faire tout cela aujourd’hui pour Marie et avec Marie de l’évangile.

* Lui dire merci, affectueusement. Pas besoin d’aller chercher bien loin. Elle a elle-même rendu grâces à Dieu dans son cantique de louange. Même si elle avait prévu que toutes les générations la diraient « bienheureuse », ce n’est pas sur elle qu’elle attire le regard, elle qui est demeurée toute sa vie la « petite servante du Seigneur ».
Elle le sait encore mieux que nous : c’est le Tout-Puissant qui fit pour elle des merveilles, c’est en Dieu son sauveur qu’il faut tressaillir de joie, c’est le Seigneur que notre âme, avec la sienne, doit sans cesse exalter. Magnificat !
Si elle est bénie entre toutes les femmes, comme le lui dit Elisabeth et nous après elle, c’est uniquement parce que le fruit de son sein est béni, Jésus l’enfant de ses entrailles, notre frère et notre Seigneur.
Quand nous louons Marie, ne nous trompons pas d’adresse. Tout en elle vient de Dieu par grâce. Tout en elle retourne à Dieu dans l’action de grâces, simplement parce qu’elle a cru en l’accomplissement de ce qui lui fut dit de la part du Seigneur. Elle n’a rien inventé. Elle est elle-même la plus belle invention de Dieu quand il a voulu venir au milieu de nous, prenant notre chair, assumant notre sang, passant par une femme –cette femme-là- pour être l’un de nous, au plus près de notre humaine condition. Marie a dit oui. Merci Marie !

* Une maman ne vient jamais seule. Elle vient à nous avec toute sa famille, elle qui nous donne notre papa et qui nous lie les uns aux autres comme frères et sœurs d’un même sein, d’un même amour. Au Christ, Marie a aussi donné Joseph, à ce Jésus qu’on appelait « le fils du charpentier ». Dans les évangiles, on parle aussi des frères et sœurs de Jésus. La tradition a toujours retenu qu’il s’agissait de sa famille élargie. Mais ça prouve une chose : Jésus n’était pas un fils unique gâté par sa maman. Il eut une famille autour de lui.
Et Marie a accueilli la famille de Jésus lui-même, à savoir ses disciples qui furent les frères et sœurs de sa fécondité spirituelle. Elle est là avec les rescapés de cette fratrie au pied de la croix, avec peu d’hommes et beaucoup de femmes, comme actuellement dans nos églises. Elle est encore là, avec les frères et sœurs de Jésus -autrement dit ses amis re-suscités par l’expérience de Pâques- quand l’Esprit de Pentecôte constitue définitivement l’Eglise apostolique. Comme une bonne maman, elle prie pour celles et ceux qui vont partir aux quatre coins du monde pour accomplir leur mission de témoins de la croix et de la Pâque.
Et comme nous pouvons compter aujourd’hui sur sa prière, afin que tous les chrétiens –et même finalement tous les hommes, selon le dessein de son fils- soient pleinement rassemblés dans l’unité et la fraternité universelle.
Notre-Dame de l’œcuménisme, priez pour nous !

* Enfin la meilleure des mamans nous laisse tellement de beaux exemples que nous sommes tous incités à en suivre au moins quelques uns. Et d’abord écouter la parole de Dieu, cette parole qu’elle a si bien assimilée que le Verbe de Dieu s’est fait chair en elle et qu’il a habité parmi nous. Tout ce que nous faisons autour de la parole de Dieu, entre chrétiens d’Eglises en voie de réconciliation, c’est du marial. Ruminer l’évangile ensemble, comme il est dit à propos de Marie, elle qui repassait tous ces évènements et les méditait dans son cœur priant.
Mais attention ! Sa prière n’était pas une drogue religieuse ni une pâtisserie spirituelle. Quand Marie chante le Magnificat, elle commence par la louange, mais elle évoque aussi la lutte, celle des humbles affrontés aux superbes de ce monde, celle des petits victimes des potentats sur leurs trônes dorés, celle des affamés face aux riches égoïstes de tous les temps.
Notre prière, comme celle de Marie, doit être le moteur de nos engagements pour la justice, la paix, la liberté, le partage dans notre société. Nous pouvons tous, chacun avec ses capacités et surtout sa générosité, faire quelque chose pour que notre humanité se rapproche de ce que le Sauveur souhaite pour elle, cette humanité pour laquelle il a donné sa vie sur la croix par amour.
Nous sommes d’autant plus des « enfants de Marie » si, pour cette aventure d’humanisation, nous nous donnons la main en Eglise et nous ouvrons nos mains vers celles et ceux qui, sans être directement « de la famille », sont aussi aimés par la mère de tous les vivants.
Dans cet esprit, Marie, toi la mère toujours jeune dans la gloire du ressuscité : bon anniversaire !


Claude Ducarroz

Prédication à Notre-Dame du Vorbourg

Homélie
Les racines de la foi sont en Dieu

Il s’est fait lui-même, tout seul !
Quand on dit cela de quelqu’un, on le loue d’avoir grimpé les échelons de l’humanité par ses propres forces, courageusement, en ne devant rien à personne. Bravo ! En réalité, un tel exploit est tout simplement impossible. Chacun de nous –et même celui qui a réussi dans la vie sans soutien, ou presque- ne peut oublier au moins cela : il ne s’est pas donné la vie à lui-même, il a reçu gratuitement l’existence, il est d’abord un cadeau.

Dans un contexte où si souvent nous nous vantons de nos réussites -ou nous accusons les autres de nos échecs-, la foi nous ramène à l’humilité des commencements reçus qu’il nous faut accueillir avec reconnaissance. Il n’y a rien d’humiliant dans cette humilité, nous rappelle l’apôtre Paul, parce que nous sommes les fruits d’un immense amour et non pas les obligés d’une divine pitié.

A des hommes imparfaits, comme nous, l’apôtre révèle des mystères extraordinaires qui peuvent –qui doivent- encore susciter notre émerveillement. A nous qui, en tâtonnant et souvent en nous trompant, cherchons à résoudre notre propre énigme –qui suis-je ? où mène cette vie ?-, voici qu’une vérité éclate au grand jour de notre foi : Toi, qui que tu sois, tu as été élu avant même la création du monde, tu as été rêvé par le Dieu d’amour, tu es enraciné pour être et pour être celui que tu es, dans le terreau de l’éternelle Trinité. Car Dieu t’a d’abord béni dans les cieux en Christ par le bon plaisir de sa volonté, à la louange de sa grâce.
Nous sommes les enfants de cette divine tendresse qui nous précède, qui nous accompagne et qui nous suit. Avant d’être tissés dans le sein de notre mère, nous avons été, depuis toujours, formés dans le sein et le dessein bienveillant de Dieu le Père, à l’image de son Fils, dans le souffle de l’Esprit. Dieu nous a espérés avant de nous créer. Dieu nous a aimés d’un amour éternel avant de nous en faire la démonstration dans notre vie humaine.
Voilà ce que nous dit notre foi. En avons-nous encore conscience ?

Et qui nous l’a dit ? Qui faut-il écouter pour en être assuré ? Qui faut-il suivre pour en être rassuré ?
Le Christ Jésus. Parce qu’il vient de Dieu comme fils éternel, parce qu’il est devenu l’un de nous comme homme parmi les hommes, parce qu’il est le meilleur des grands frères –l’aîné de toute la multitude-, parce qu’il est le chef de l’immense cordée humaine en route vers le Royaume de l’amour parfait et du bonheur total.

C’est la réponse à l’autre question : nous cheminons sous le regard d‘une tendresse  infinie pour déboucher un jour dans la joyeuse surprise de la gloire avec le Christ ressuscité. La Parole de vérité et de salut, l’Esprit hérité du mystère de Pâques nous donnent la main sur les sentiers de notre aventure humaine. Nous sommes bien accompagnés, pour aller loin, pour aller haut.

Tout cela vient de la grâce de Dieu, si riche en miséricorde. Mais tout cela a été rendu possible par la collaboration d’une femme, probablement très jeune, celle qui se proclamait « petite servante » dans un bourg ignoré de Galilée. Et sa collaboration, c’est précisément sa foi. A la divine proposition, en toute conscience et liberté, elle a dit tout simplement oui : « Qu’il me soit fait selon ta parole. » Et l’histoire de l’humanité a basculé dans la rédemption.
Foi de Marie qu’Elisabeth a reconnue et magnifiée : « Heureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui a été dit de la part du Seigneur. » La béatitude de la première des croyantes.

Mais heureusement, il y en eut beaucoup d’autres après elle, dans la foulée. Les 12 apôtres que Jésus a entraînés à sa suite, malgré leurs réticences et même leurs abandons. Les disciples aussi, par exemple ceux qu’il a retrouvés un jour au retour d’une mission, tout heureux d’avoir pu faire du bien par la parole et par les actes. Jésus se réjouit avec eux et pour eux. Il leur rappelle que les succès dans le « faire », même en évangélisation, sont moins importants que l’être en communion avec lui, « avoir son nom inscrit avec le sien dans les cieux ».

Et puis il y a cette scène  unique : Jésus bénit le Père, en convoquant à sa louange le ciel et la terre, pour tous ces plus petits qui accueillent les mystères  de Dieu dans leur vie par la foi. En leur adressant une béatitude spéciale : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez, et entendent ce que vous entendez ». Nous faisons-nous encore tout petits devant Dieu ?

Oui, Dieu merci, il y a encore des croyants. N’ayez pas peur, n’ayez pas honte d’être des croyants. Un certain monde veut nous faire croire que l’homme peut tout ou presque, qu’il doit être un gagnant à tout prix, même en écrasant les autres, qu’il n’a plus besoin de Dieu pour se comprendre lui-même et orienter sa vie.

Voici que retentit aujourd’hui à nos oreilles et resplendit sous nos yeux l’humble bonheur des croyants, plus heureux que tous les prophètes et tous les rois, parce que réjouis par Dieu lui-même, dans son bon plaisir.

Marie est en tête du cortège, mais elle nous tient par la main. La première en chemin, elle garde le contact avec chacun de nous. N’allons pas mettre dans les nuages celle qui aime faire de ses visites ici-bas des visitations, autrement dit des rencontres d’encouragement et de fête partagée. De nouveaux Magnificats.
C’est ce que nous sommes appelés à vivre ici tout au long de cette semaine, à la suite de tant d’autres avant nous, mais toujours avec une Marie d’actualité depuis qu’un certain Jésus, du haut de la croix, a dit cette parole au disciple, à tous les disciples, et donc à nous maintenant : « Voici ta mère »
Quel cadeau ! Qui dit mieux ?
Merci Jésus, merci Marie.


                                   Claude Ducarroz

Prédication à Notre-Dame du Vorbourg

Homélie

Croire en Dieu qui surprend

Aimez-vous les aventures ? Etes-vous des aventuriers ? Si vous êtes de braves suisses « normaux », j’imagine que vous direz plutôt : non ! Chez nous, on préfère ce qui est prévu, organisé, propre en ordre, sans les désagréments causés par des surprises qui sont généralement plutôt mauvaises. Mais je sais que dans le Jura, on n’est pas tout à fait des Suisses comme les autres. Il y a peut-être ici davantage d’aventuriers au mètre carré.

Et puis, ici comme ailleurs, il y a tous ces aventuriers qui s’ignorent. Se marier, n’est-ce pas toute une aventure ? Etre parents aussi, avec bien des surprises. La vie elle-même n’est-elle pas remplie d’imprévus qui nous bousculent, nous réjouissent parfois, mais peuvent aussi nous désarçonner, nous déstabiliser ?

Dans la vie humaine, il y a encore une autre aventure possible, profonde, essentielle : c’est la foi. Les grands croyants sont les plus grands aventuriers de notre monde. Ils suivent quelqu’un qui surprend souvent : Dieu.

D’abord Dieu lui-même est une immense surprise, le vrai Dieu. Durant des millénaires, les hommes l’ont imaginé multiple, lointain, hautain, terrible, souvent le pire que ce qu’ils sont eux-mêmes, mais poussé à l’infini.
Et voici la surprise : Dieu est Amour, tellement d’ailleurs qu’il est à la fois unique et communion, la sainte Trinité. Autre surprise : il s’est fait proche en Jésus-Christ, au point qu’il est devenu l’un de nous en établissant sa tente au milieu de nous.

Depuis lors, il ne cesse de nous parler, de nous appeler, de nous toucher, de nous rassembler en fraternité. C’est la Parole de Dieu, ce sont les sacrements, c’est la communauté qu’est l’Eglise. Oui, vraiment Dieu reste surprenant.

Quelqu’un a vécu cette expérience surprenante en direct, en première ligne. Une femme, Marie de Nazareth. Une femme de province, dans un milieu modeste, du genre « petite servante », comme elle se définissait elle-même. Simplement, il y avait en elle la foi, autrement dit cette disponibilité latente à s’ouvrir aux imprévus de Dieu. Et Dieu, justement, a fait irruption dans sa vie de manière bouleversante.
Un messager d’en-haut dans sa chambre ou peut-être sa cuisine. Une proposition étonnante : devenir la mère du Messie, et pas n’importe lequel : celui qui sera appelé à juste titre « Fils de Dieu, Fils du Très-Haut ». Imaginons la surprise pour cette jeune fille : devenir enceinte en étant vierge et porter en son sein le Sauveur du monde.

Heureusement, Dieu surprend, mais il ne force pas. Il n’enfonce pas la porte, il frappe doucement à notre coeur, il respecte notre liberté. La foi est une réponse libre à une proposition tendre. Et Marie a dit un oui réfléchi à une déclaration d’amour. « Bienheureuse, toi qui as cru à l’accomplissement de ce qui te fut dit de la part du Seigneur. »
Comme vous le savez, ce n’était que le début de l’aventure pour cette femme bénie entre toutes. Je vous passe les autres évènements qui mirent sa foi à l’épreuve tout au long de sa vie, de la crèche à la croix. Et toujours, finalement, sans toujours comprendre du premier coup, c’est la foi qui murmura son dernier mot en elle: « Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta parole. »
Il faut encore aller plus loin, jusqu’à nous. Le Dieu qui a surpris Marie –heureusement pour nous- continue de déconcerter les croyants d’aujourd’hui. L’apôtre Paul nous a avertis : « Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes. » Et le résultat est patent, chez les Corinthiens, par exemple. « Considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés. » Voilà qui étaient les premiers chrétiens.

On entre toujours dans le royaume de la foi qui sauve par la porte de l’humilité. Dieu continue de se plaire, comme chantait Marie, à élever les humbles, à combler les affamés, à faire miséricorde à ceux qui mettent leur confiance en lui, malgré leurs fautes. Sommes-nous encore capables de nous laisser surprendre par Dieu, par ses révélations bibliques, par ses inspirations intérieures, par ses promesses extraordinaires ?

C’est vrai : il y a parfois dans nos vies de croyants des épreuves qui peuvent ébranler notre foi. Pourquoi tel malheur, telle détresse, tel échec ? Nous ne trouvons pas la réponse tout de suite ou pas facilement. Mais nous savons une chose : Dieu n’abandonne jamais ses enfants, Dieu ne nous laisse jamais seuls, Dieu reste à nos côtés.
Quand nous tombons, il nous relève, c’est son pardon. Quand nous doutons, il nous éclaire, c’est sa parole. Quand nous perdons pied, il nous soutient, dans la prière par exemple ou par la présence fraternelle de celles et ceux qui nous donnent la main.

« Etre dans le Christ », comme le dit saint Paul, ce n’est pas nager dans le bonheur facile, c’est savoir par expérience qu’il y a toujours une pâque derrière nos croix, un amour qui rend la dignité à ceux que l’on méprise et même une résurrection au-delà de notre mort. Y croyons-nous vraiment ?

Croire, c’est se laisser surprendre par Dieu en sachant que finalement la plus grande surprise qu’il nous offre, c’est lui-même, déjà en ce monde à travers les signes qu’il nous adresse discrètement entre les lignes de notre existence, et un jour quand nous le verrons face à face dans le grand éblouissement de la gloire.
Quelle surprise ! Quel bonheur !

                                   Claude Ducarroz






Prédication à Notre-Dame du Vorbourg

Homélie
Croire en Dieu qui envoie

Ne pas déranger. On lit parfois cette petite phrase sur certaines portes des chambres d’hôtel ou dans des lieux de délibérations laborieuses avant des décisions importantes.

Celui qui inscrit cela sur la porte de son cœur ne sera jamais un vrai croyant. Et de même celui qui s’adonne à la sieste prolongée, fût-elle religieuse. Car Dieu est étonnamment dynamique. Ceux qu’il appelle, il ne les laisse jamais longtemps au repos, même mystique. Lui, il les bouscule en les envoyant, en en faisant des missionnaires.

C’est qu’il est devenu lui-même missionnaire en notre monde pour lui apporter le salut. Pas seulement de la part de Dieu, mais du sein de Dieu lui-même qui a envoyé le Fils dans la chair de notre humanité, plonger dans la dure épaisseur de notre monde. L’envoyé du Père, au risque de l’incarnation, c’est Jésus le Christ. Car c’est lui qui a dit, selon l’épître aux Hébreux : »Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation, mais tu m’as façonné un corps. Alors j’ai dit : « Voici, je viens … pour faire, ò Dieu, ta volonté. »

Depuis cet envoi-là, depuis ce premier oui à l’invitation divine au voyage de l’amour sauveur, les croyants sont devenus des envoyés, ou alors ils croient qu’ils croient, mais ils ne croient pas vraiment. Qui refuse d’être appelé pour être envoyé est impropre au Royaume de Dieu. Il s’est mis en vacance de l’évangile.

La première à comprendre cela –mais ce n’est pas étonnant-, c’est Marie de Nazareth. Elle a été appelée d’une manière spéciale, extraordinaire puisqu’elle a été choisie de toute éternité pour être la mère du Sauveur, l’envoyé du Père en ce monde. Et l’ange Gabriel, le moment venu, lui a signifié cet appel dans la simplicité de sa condition de « servante du Seigneur ». Car Dieu peut appeler n’importe qui n’importe où, et d’abord les plus humbles et les plus petits. Elle a dit oui, réponse à un appel qui la laissait libre : « Qu’il me soit fait selon ta parole ».

A partir de ce moment-là, on aurait pu imaginer qu’elle aurait droit à quelque congé, dans l’attente du grand évènement de la nativité. Eh ! bien non. Car le Dieu qui appelle est aussitôt le Dieu qui envoie. Vite, comme il est dit dans l’évangile, Marie traverse les montagnes pour aller au secours de sa cousine Elisabeth. Pas de temps à perdre dans des « mais » et des « si ». Cette grande croyante devient une nomade de la bonne nouvelle. Elle est pressée de chanter sa louange en la partageant avec d’autres.
 Elle a reçu une mission. Il faut qu’elle l’accomplisse aussitôt : faire de cette visite une visitation. Pas besoin d’attendre les naissances pour mettre en contact les bébés. Encore dans le sein respectif de leurs mères, ils tressaillent de joie en se rencontrant à travers le baiser d’accueil de ces deux femmes. Il y a dans toute démarche de charité un évènement divin qui opère des merveilles, quand on s’est laissé envoyer par Dieu pour faire du bien à quelqu’un, tout simplement.

L’apôtre Paul a compris que l’Eglise fonctionne dans cette logique mariale de la visitation. Il le rappelle aux Romains. Si ces premiers chrétiens –heureux de l’être tout en étant encore fort imparfaits- ont pu bénéficier de l’évangile qui les a transformés par la foi, c’est qu’il y eut une cascade d’envoyés qui ont dit oui. La parole de la foi leur a été prêchée, mais c’est qu’un apôtre a dit oui à son appel fondateur. Il a franchi les mers pour venir jusqu’à eux en courant souvent les pires dangers.
Ils ont la chance de confesser la mort et la résurrection du Christ, avec la joie du salut au cœur. Il a bien fallu quelqu’un pour leur annoncer ces mystères de manière crédible, et pas n’importe qui, en roue libre, à son propre compte. Non : un envoyé par l’Eglise au compte du Christ et de son évangile. Au point qu’ils peuvent le reconnaître : « Qu’ils sont beaux les pieds des messagers de bonnes nouvelles ! » Car, le rappelle opportunément l’apôtre, la foi naît de la prédication, et le prédicateur est un envoyé.

Chacun de nous a bénéficié du oui de nombreux envoyés avant lui. Tout ce qui fait notre joie dans la foi et dans l’Eglise, nous ne l’avons pas inventé, nous ne nous le sommes pas donné à nous-mêmes. Nous l’avons reçu en cadeau de ceux qui nous ont précédés dans cette foi et dans cette Eglise. Sans doute n’étaient-ils pas parfaits. Mais ils nous ont apporté de la part de Dieu des trésors qui nous font encore vivre aujourd’hui, nous aussi, en chrétiens heureux, même si nous sommes  aussi imparfaits.

Alors où est le problème, me direz-vous ? Il est crucial, aujourd’hui plus que jamais. Les bénéficiaires de l’évangile acceptent-ils encore d’être envoyés pour l’annoncer à d’autres ?
Là où est un vrai croyant, là vit un envoyé. Car il faut que la voix de Dieu proclamée par le Christ, répercutée par les premiers apôtres, parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. Et cette extrémité pour nous, c’est peut-être…chez nous.

Personne, parmi nous, n’a la garantie du succès apostolique et de l’efficacité missionnaire. Le prophète Isaïe disait aussi, dans un soupir : « Seigneur, qui a cru à notre prédication ? »  Mais la question demeure, et la réponse dépend bel et bien de chacun de nous : es-tu prêt à te laisser envoyer ? Es-tu disponible pour faire quelque chose dans l’Eglise, avec ce que tu sais et surtout avec ce que tu es, afin que cette communauté porteuse de la foi puisse témoigner encore de l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui ? As-tu le souci, là où tu vis, dans notre société telle qu’elle est, de laisser transparaître ta foi, en paroles et en actes, afin de faire connaître le Christ à ceux qui l’ignorent ou l’ont peut-être oublié ? Donnes-tu envie d’être chrétien ?

Comme Jésus, encore tout petit dans le sein de sa mère, l’a transformée en une missionnaire de bonne nouvelle, ainsi l’Esprit Saint en toi, veut faire de tes visites humaines des visitations de Dieu. Quel honneur !
Qui dit mieux ?


                               Claude Ducarroz

Prédication à Notre-Dame du Vorbourg

Homélie
Croire en Dieu qui bouleverse

KKK.
Vous vous souvenez peut-être de ce slogan brandi au moment du débat sur le vote des femmes. Pour certains, ces « chères moitiés », comme on osait les nommer parfois, devaient être confinées à la cuisine, à l’église et auprès des enfants –Kinder, Küche, Kirche-. Je devine qu’on en a moins parlé de cette manière dans le Jura parce que c’est une région plutôt progressiste sur ce point et aussi parce que le slogan était…en allemand !

Marie de Nazareth était sans doute une bonne ménagère. Elle s’est occupé et même préoccupé de son fils Jésus et a pris  part à la prière de la synagogue, mais attention : dans le carré réservé aux femmes !
Mais ne comptez pas sur elle pour être une gentille dame biblique qui se contenterait de tricoter au coin du feu pour meubler ses rares loisirs de sainte femme au foyer.

Son chant –le Magnificat- témoigne d’une toute autre personnalité, qui a de quoi nous déconcerter si l’on s’en tient aux images pieuses qui la montrent filant la laine, tête baissée, dans son humilité.
Avez-vous lu le Magnificat jusqu’au bout ? Marie y célèbre un Dieu qui déploie la force de son bras, qui disperse les superbes, qui renverse les puissants de leurs trônes, qui renvoie les riches les mains vides. Il y a de quoi faire une révolution avec ce Dieu-là !
Heureusement, il y a aussi le contrechant positif. L’amour de Dieu s’étend sur ceux qui le craignent, Dieu élève les humbles, il comble de biens les affamés, il se souvient de son amour.

N’empêche que le Dieu de Marie dans son hymne de louange est plutôt bouleversant. Surprenant serait peut-être trop dire. Car on reconnaît dans ces expressions musclées le message courageux des prophètes du premier testament qui osaient appliquer la Parole de Dieu comme une épée tranchante dans la situation réelle de la société et de la religion de leur temps. Face à la léthargie du peuple, aux compromissions des dirigeants politiques et religieux, à l’infidélité régnant un peu partout, ils ne craignaient pas de sonner le réveil, de dénoncer les hypocrisies, d’appeler et rappeler à la sainteté. Notamment dans le domaine de la justice sociale, de l’attention aux plus pauvres, par une religion des actes et non pas des seules paroles.
Cela peut nous paraître étonnant que Marie de Nazareth, la petite servante du Seigneur comme elle se définit elle-même, se situe clairement dans la ligne de ces prophètes très vaillants quand ils parlent de leur Dieu et rappellent à leur peuple les exigences à la fois de sa justice et de son amour.

Qu’est-ce à dire pour nous aujourd’hui, dans notre environnement religieux et social ?
Pas besoin de faire un dessin : pour être chrétien, à l’image de notre mère Marie, il nous faut aussi beaucoup de courage.
D’abord le courage de la foi elle-même. Toutes les enquêtes le soulignent : les croyants qui osent le dire parce qu’ils le sont -certes toujours imparfaitement- deviennent de moins en moins nombreux, surtout parmi les nouvelles générations. Il nous faut donc demander la grâce d’une certaine bravoure spirituelle.
Oui, comme Marie, avec Marie, avoir l’humble audace, non seulement de penser en secret, mais d’exprimer à haute voix : Mon âme exalte le Seigneur, parce que j’y crois. Le Puissant continue de faire des merveilles, c’est pourquoi je le prie, je le chante. Son nom est saint, donc je l’adore. Il se souvient de son amour, donc je suis heureux d’écouter ses tendres confidences dans sa Parole.
Et je n’ai pas à me gêner de partager –humblement, respectueusement, mais aussi clairement- la chance de croire en lui, le bonheur d’espérer en ses promesses, la joie de ressentir son amour, et de l’aimer en retour.
Une telle vie religieuse, dans la communion de l’Eglise, peut paraître dépassée, voire ringarde, aux yeux des autres, et parfois de ceux qui nous entourent. Peu importe. Quand la foi est sincère, elle ne cherche pas d’autres approbations que celles de la paix que le Christ fait régner dans nos coeurs habités et dans notre conscience sereine.

Mais c’est à ce moment-là qu’il nous faut chanter, ou plutôt mettre en pratique, la deuxième partie du Magnificat. Notre foi doit aussi avoir un deuxième courage, celui de nous mettre au  service de l’humanité en souffrance, victime de l’injustice, de la violence ou du mépris.
 Si nous nous enfermons dans la religion pour ne pas voir ce monde tel qu’il est, nous sommes des croyants aveugles, nous ne pouvons pas être des témoins crédibles.
Si nous refusons de nous engager concrètement, chacun selon ses possibilités variables, pour améliorer la condition humaine, nous disons aimer Dieu sans aimer notre prochain.
Si notre vie spirituelle devient l’opium du peuple, alors nous ne sommes pas les enfants du Magnificat de Marie, car sa foi en nous doit nous donner des ailes pour nous investir aux côtés des pauvres, des petits, des marginaux si souvent oubliés ou méprisés. C’est ainsi que la Parole de Dieu habitera en nous dans toute sa richesse.

Le Dieu de Marie, que son fils Jésus annoncera bientôt avec force jusqu’à la fidélité qui le mènera à la croix, fait de nous des religieux sincères et des révolutionnaires par amour.
 Cet amour dont l’apôtre Paul ne cesse de répéter aux Colossiens qu’il est tendre, doux, patient et humble mais aussi fort jusqu’au pardon, joyeux dans de libres louanges mais aussi capable de former un seul corps, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

A nous de jouer maintenant ! Pour gagner par l’amour !


                                               Claude Ducarroz

Prédication à Notre-Dame du Vorbourg

Homélie
Croire en Dieu en Eglise

Faut-il être un peu dingue -et peut-être même beaucoup- pour être chrétien ? La question vous paraît sans doute bizarre et même un peu provocante. Et pourtant elle n’a rien d’original puisque, selon l’évangile que vous venez d’entendre, cette question a été posée publiquement à propos de Jésus : « Sa famille vint pour se saisir de lui, car ils affirmaient : Il a perdu la tête ! »
 Oui, Jésus a passé pour un fou aux yeux de ses proches. Alors les disciples de ce Jésus-là, qui l’ont suivi et le suivent encore, ne seraient-ils pas, eux aussi, de doux cinglés ? Je ne serais pas étonné qu’on vous ait dit cela un jour. Je suis sûr que certains l’ont pensé, même s’ils n’ont pas osé ou voulu vous le dire.

Croire en Dieu, c’est déjà un saut qui ne va pas de soi. Ca se discute, comme on dit. Et même de plus en plus.
Croire au Christ, fils de la Vierge Marie et fils de Dieu, mort et ressuscité, c’est encore plus étonnant. On le conteste toujours plus, même chez nous..
Mais alors croire en l’Eglise, au point de lui accorder sa confiance et de faire partie de cette famille : ça, c’est devenu incompréhensible aux yeux de beaucoup.

Heureusement quelqu’un –précisément de la famille de Jésus- vient nous accompagner dans l’aventure de la foi. C’est la mère de Jésus, celle qui le connaissait le mieux –sa maman-, celle qui l’a suivi jusqu’au bout, autrement dit jusqu’à la croix. Et justement, elle a continué sa mission avec l’Eglise, elle qui était là après la résurrection et l’ascension, avec les disciples et les apôtres, quand l’Eglise a démarré sous le souffle de l’Esprit.

Il y a dans la figure de Marie tout le chemin de la foi.
* Marie, fille de Sion, la juive croyante, qui méditait la parole de Dieu en y adhérant de tout son cœur humble et priant.
* Marie, mère de Jésus, la première chrétienne, qui accueillit et fit grandir en elle le Verbe fait chair de sa chair, pour mieux le donner au monde en tant que Sauveur universel.
* Marie, mère de l’Eglise, présente à Pentecôte avec quelques femmes et les nouveaux frères et sœurs de Jésus. Comme la maman qui surveille les premiers pas de son enfant.

* Par sa foi en Dieu, Marie nous met en relation avec tous les croyants du monde, quelle que soit leur religion. Il y a tant d’hommes et de femmes sincères qui lèvent leurs yeux vers le ciel et prient le Dieu unique, encore largement inconnu, qui les aime aussi.
* Par sa foi dans le Christ de la croix et de la pâque, Marie nous met en communion avec tous les chrétiens du monde, dans les diverses Eglises, malgré leurs malheureuses divisions, parce que ce qui nous unit déjà est bien plus grand que ce qui nous sépare encore.
* Par sa présence à l’Eglise des origines, Marie nous invite à nous engager dans notre Eglise pour recevoir avec reconnaissance tout ce que le Seigneur veut nous donner en passant par cette communauté une, sainte, catholique et apostolique.
Mais attention ! Recevoir sans rien lui donner en retour, ce n’est pas marial, ce n’est pas chrétien.

Bien sûr, comme pour les apôtres, nous sommes les enfants de la grâce du Christ. Comme eux, dans la prière, il nous a choisis pour être avec lui, appelés et consacrés par le baptême, notre source. Mais, comme eux encore, il nous a aussi envoyés et il ne cesse de le faire, afin d’annoncer sa parole, de témoigner pour l’évangile, de faire passer la bonne nouvelle aux générations à venir, jusqu’aux extrémités du monde.

Dans cette communauté, chacun a sa place parce que tous sont invités et par conséquent impliqués. Voyez ceux qu’il a choisis en premier. Pas des gens parfaits ou surdoués, mais d’humbles pêcheurs de Galilée, des humains pleins de faiblesses et de défauts, y compris Judas, celui qui allait le livrer. Ce fut eux, c’était ça, la première Eglise fondée par Jésus lui-même.

Dès lors nous n’avons plus aucune excuse. Avec la grâce de Dieu, avec sa miséricorde, nous pouvons, nous devons constituer l’Eglise d’aujourd’hui, chacun avec ce qu’il a et surtout ce qu’il est, à condition de ne pas le garder rien que pour soi. Il suffit de le partager avec d’autres pour que vive cette Eglise de la foi, de l’espérance et de l’amour.

Comme la première Eglise, l’Eglise d’aujourd’hui peut passer par des épreuves. Nous connaissons la feuille de route de son histoire : écouter la parole, prier l’Esprit Saint, se rassembler avec les apôtres et leurs successeurs, chercher ensemble les meilleurs voies pour une plus grande fidélité à la fois à l’évangile et aux signes que le Seigneur nous adresse dans les circonstances de notre temps.
Comme le fit il y a 50 ans le concile Vatican II. Comme nous y invite encore aujourd’hui le pape François et nos évêques.

Il ne faut pas aller chercher trop loin. Chacun de nous, là où il vit, est un disciple choisi, appelé, envoyé. Donc c’est là que le Seigneur compte sur nous et que Marie nous donne la main. Là, en famille, dans le milieu de travail, dans son village ou son quartier, jusque dans les engagements sociaux, politiques, écologiques, culturels. Et bien sûr tout simplement dans sa paroisse, au moment où nous avons besoin de l’apport de tous pour faire vivre –et parfois survivre- nos communautés chrétiennes devenues de petits troupeaux. Mais Jésus n’a-t-il pas dit aux apôtres, ce qu’il nous redit à nous aujourd’hui : « Ne crains pas, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. » Lc 12,32.

Vous le voyez : être des dingues de Jésus, avec Marie et les apôtres, tous ensemble, c’est une belle vocation !

                                   Claude Ducarroz


Prédications à Notre-Dame du Vorbourg



Homélie
Croire en Dieu en famille

La famille ! Notre joie ! Notre croix !
N’est-ce pas ainsi qu’on peut résumer la situation des familles dans notre société occidentale ?

Notre joie, certes. Chacun de nous, par expérience ou par souvenir, pourrait dire tout ce qu’il doit, en positif d’amour, à sa famille, celle dont il est le fruit ou celle qu’il a lui-même fondée. Sans doute n’y a-t-il aucune famille parfaite. Mais la vie, l’affection, l’éducation et souvent la foi nous sont venues par elle. l’oublier.
Sachons le reconnaître et le dire à celles et ceux qui nous firent de tels cadeaux.

Notre croix aussi. L’évolution des couples et des familles dans le monde actuel est souvent la cause de bien des soucis et même à l’origine de beaucoup de souffrances dont les enfants innocents font souvent les frais. Inutile d’aligner des statistiques alarmantes - par exemple sur les divorces, les familles sans mariage ou les familles monoparentales- pour justifier nos perplexités, nos questionnements, nos inquiétudes.

Si ça peut nous consoler ou plutôt nous encourager : la famille de Jésus de Nazareth ne fut pas non plus de tout repos.
Tout semblait avoir très bien commencé puisqu’il est dit dans l’évangile : « L’enfant Jésus grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui ». Quoi de mieux ?
Mais plusieurs crises ont pourtant marqué l’existence de la sainte famille.

Très tôt –il avait douze ans-, Jésus fait problème en restant à Jérusalem avec les docteurs de la loi, tandis que ses parents retournaient à Nazareth sans lui. Vous devinez l’angoisse. « Vois comme nous avons souffert en te cherchant », lui dit Marie, en forme de reproche à peine voilé. C’est qu’il lui fallait être chez son Père. Réponse énigmatique, que Marie et Joseph ne comprirent pas sur le moment.
La vocation exceptionnelle de Jésus devait déjà passer avant tout le reste, ce qu’il ne manqua pas de manifester par la suite, au point que plusieurs fois les gens de sa famille le traitèrent de fou et voulurent le ramener à la raison en le rapatriant à Nazareth.
En vain, car accomplir la volonté de son Père –qui est aux cieux- était plus forte que tous les liens de famille ou de village. Décidément la vie de famille avec Jésus, malgré la sainteté de ses membres, ne fut pas un long fleuve tranquille.

Mais, au milieu de toutes ces vicissitudes, une chose demeurait solide, c’est vrai : justement la vie de foi partagée. Car ce Jésus surprenant devenait adulte « sous le regard de Dieu et des hommes ». Et Marie, sans doute aussi en dialogue avec Joseph, « gardait tous ces évènements et les méditait dans son cœur ».

Il n’y a pas de famille sans problèmes, sans crises, sans épreuves qui peuvent faire mal, très mal parfois. Notre société, avec sa moralité toujours plus élastique, favorise davantage le vagabondage hédoniste que l’attachement aux valeurs solides qui soutiennent les familles. Nous avons au moins cette chance : notre Eglise mise encore sur des amours durables parce que fidèles, sur des couples consacrés par le sacrement de mariage, sur des familles nourries par la vie spirituelle, sur les pardons qui réconcilient et permettent de repartir avec confiance.
Je le sais : la vie de foi ne donne pas une clef magique pour éviter tous les problèmes, voire certains échecs. Mais elle propose aux couples un dessein d’amour de qualité, elle consolide les familles dans un bonheur partagé, elle leur offre le carburant religieux pour affronter les moments difficiles.

C’est une évidence : une famille sevrée des nourritures spirituelles est plus fragile qu’une famille qui s’appuie sur la parole de Dieu méditée, sur la prière à la maison, sur une participation active à la vie de l’Eglise et à sa liturgie.
Pour tenir le coup dans une société veuve de repères solides, il faut qu’il y ait du Nazareth dans nos familles. Pas la perfection illusoire de la tranquillité plate – même à Nazareth, ce n’était pas ainsi-, mais le bonheur jailli des efforts de tous pour grandir ensemble « sous le regard de Dieu et des hommes ».

L’apôtre Paul pensait-il aux familles quand il dressait pour les chrétiens de Rome la charte de la vie communautaire selon le modèle de l’évangile ? Une telle qualité de relations vaut sans doute pour tous les chrétiens, quel que soit leur état de vie, y compris pour les communautés religieuses ou sacerdotales. Nous devons aussi nous interroger sur la « vie de famille » que nous menons.
Mais il est certain que nos couples et nos familles feraient bien de relire cette lettre pleine de bons conseils, qui décline les multiples facettes de l’amour mis en pratique quand nous devons gérer des « vivre ensemble » profonds au plus quotidien de l’existence.

Pour relever ces défis, nous avons tout intérêt à prendre avec nous la sainte famille de Nazareth, là où il y avait à la fois de la liberté et de l’obéissance, de la piété et de l’ouverture aux autres, sur les ailes de l’amour de Dieu et du prochain.

Jésus, Marie, Joseph : ce n’est pas une recette magique, c’est une bonne compagnie à inviter, à fréquenter, à imiter. Et nos familles trouveront ou retrouveront le bonheur de partager la foi, l’espérance et surtout l’amour.

                                   Claude Ducarroz






Prédications à Notre-Dame du Vorbourg

Homélie
Croire en Dieu jusqu’au bout

Les dernières paroles. Les derniers cadeaux.

Certains parmi nous ont vécu cela, lors du départ de ce monde d’un parent proche, d’un ami. Avec quelle émotion ! Avec quel respect ! Avec quelle reconnaissance ! Car à ce moment-là, sobrement mais de tout cœur, on donne ce qu’on a de meilleur, qu’on voudrait laisser en héritage, le signe du plus grand amour.

Ce fut ainsi pour Jésus sur la croix. Et c’était pour nous.
La veille de sa mort, il a déjà presque tout donné « aux siens », comme il appelait ses amis.
* Un message d’abord, pour inviter à l’amour fraternel et à l’unité pour son Eglise. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés… Qu’ils soient un comme nous sommes un, afin que le monde croie ! »
* Et puis deux gestes qui s’appellent et se complètent. Le lavement des pieds pour montrer un exemple à suivre dans la communauté chrétienne : « Ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi ». Un certain type de relations entre chrétiens.
Enfin l’eucharistie, corps livré, sang versé par amour. « Faites cela en mémoire de moi. ».
Bientôt ce sera la finale, car il nous aima jusqu’au bout, lui qui nous a dit : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Il l’a fait. Pour nous aussi.

Manquait-il quelque chose à ces cadeaux divins ? Oui, Marie, la mère de Jésus. Elle aussi, il nous l’a donnée avant de mourir.
 Elle était là au pied de la croix, avec quelques femmes, toujours les plus fidèles et les plus courageuses dans de telles circonstances. Et puis un disciple, un seul, pour nous représenter tous, y compris ceux qui ont préféré s’enfuir au moment suprême.
Quelques paroles brèves, entre deux soupirs, et tout est dit. Tout est donné, offert jusqu’au bout : « Femme, voici ton fils… Voici ta mère… »

Donc un double cadeau. Jésus nous donne d’abord nous en cadeau à Marie, quelque part à sa place, puisque nous devenons, comme disciples, les fils et les filles de Marie à qui il nous confie. Un drôle de cadeau, puisqu’il s’agit de nous, avec nos misères, nos faiblesses et même nos reniements. Marie, en silence, accepte ce présent des mains crucifiées de son fils. Elle nous prend chez elle, elle nous accueille en elle, comme une immense famille à rassembler en son sein maternel pour le faire naître à l’univers de l’évangile. Neuf mois, elle a porté Jésus dans son sein. Pour toujours, elle nous abrite dans son cœur.

Et l’autre cadeau suit aussitôt. Il est pour nous, et d’une toute autre qualité : c’est Marie elle- même, sa propre mère, qu’il nous offre, celle qui lui a donné la vie, avant de nous livrer la sienne. Il n’a vraiment rien gardé pour lui. Il nous a remis même sa maman.

Un cadeau, même somptueux, ne s’impose pas. Il est offert à notre liberté. C’est pourquoi il est noté dans l’évangile : « A partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. » Encore fallait-il que Marie soit accueillie par le disciple bien-aimé, que chez lui, ce soit aussi chez elle.

Et que chez eux désormais, le Christ ressuscité puisse venir habiter par son Esprit après sa résurrection, lui qui a dit : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. » Deux, trois : c’est le minimum d’Eglise pour que Jésus puisse y venir planter sa tente et marcher avec nous, lui qui est en même temps « le chemin, la vérité, la vie. »

Aujourd’hui, que nous soyons nombreux ou peu nombreux, nous sommes cette Eglise qui rassemble les disciples de Jésus, qu’ils aient été avec lui au pied de la croix, qu’ils se soient retrouvés sur le rivage pour reconnaître le Ressuscité à la fraction du pain ou qu’ils aient été présents au Cénacle au moment de la Pentecôte.

Cette Eglise est toujours à la fois apostolique et mariale. Marie est avec les apôtres réunis et les vrais disciples la prennent chez eux. Nous sommes ensemble dans l’alliance nouvelle et éternelle.

Il nous faut traduire cela aujourd’hui dans la vie de l’Eglise et dans nos existences personnelles. Tout ici, dans cette chapelle et par son histoire, nous invite à mettre cela en pratique jusqu’au bout. Par notre passion pour la parole de Dieu, par notre faim et soif de l’eucharistie, par notre engagement à faire Eglise et par notre piété mariale. Tout ce qu’il faut pour faire Eglise !

N’allons pas séparer ce que Jésus a si bien uni sur la croix en donnant sa vie pour nous. Ne refusons aucun de ses cadeaux : la parole biblique, les sacrements issus de son cœur transpercé –eau et sang-, la communauté apostolique et sa mère Marie : tous des signes vivants de son amour infini pour nous et pour toute l’humanité.

Quoi qu’il arrive et nous arrive, que ce soit dans la société en convulsions, dans une Eglise qui peine ou dans les soubresauts de notre cœur, cramponnons-nous aux branches de l’évangile. Car elles sont toute chargées de cadeaux, qui aident à vivre, qui redonnent courage dans les épreuves et qui nous conduisent finalement jusque dans la vie éternelle.

Sous le doux regard de Marie, sa mère et notre mère, après avoir ouvert largement ses bras sur la croix, Jésus ressuscité les tend maintenant vers nous pour nous presser sur son cœur.

Je viens de relire une lettre de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus à un missionnaire en Chine, qui était un peu troublé dan son âme. Elle lui écrit : « Cher petit frère, ne vous traînez plus aux pieds de Notre Seigneur.  Jetez-vous plutôt dans ses bras ! ».

Laissez-vous, laissons-nous enfin aimer.

                                   Claude Ducarroz