lundi 28 janvier 2013

Petite théologie des sacrements

Des signes pour sauver






Introduction



Faire signe, quand on aime, c’est manifester de la tendresse, c’est donner de la vie.

Parce que Dieu est Amour (IJn 4,8), il ne cesse de nous « faire signe ». Il l’a fait déjà dans la création par amour. Il l’a renouvelé dans l’épopée de l’alliance avec son peuple Israël. Il l’a exprimé surtout dans la personne de Jésus-Christ, le grand signe de son amour pour toute l’humanité (Cf. Jn 3,16). Ce Jésus, le fils de Dieu et notre frère, a signifié l’amour du Père dans le mystère de sa vie, de sa mort et de sa résurrection, signe offert pour le salut du monde. En passant parmi nous en faisant le bien, il a témoigné de cet amour par des paroles et des gestes qui sauvent, et d’abord au contact des petits, des malheureux et des pécheurs. Sous la guidée de l’Esprit de Pentecôte, l’Eglise a recueilli ces gestes en les ritualisant peu à peu, dans la mise en forme de sept sacrements. Ils sont encore efficaces aujourd’hui, car ils font mémoire de la bonté du Christ pour tous et continuent de nous la transmettre, pour nous permettre de vivre ici-bas selon l’évangile, tout en nous préparant au Royaume de Dieu.



Le baptême



Pour un être humain, la première merveille, c’est d’exister comme créature « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1,27). Mais, à cause du péché de nos pères et à cause des nôtres, nous avons aussi besoin de « renaître d’en-haut », dans un sacrement qui nous confère la vie nouvelle, celle que Jésus nous a obtenue par sa mort et sa résurrection. Par le baptême dans l’eau et l’Esprit, Jésus nous ouvre les portes du salut. Il fait de nous des fils et des filles de son Père et notre Père. Désormais consacrés par l’Esprit, nous sommes membres de son peuple, l’Eglise, qui constitue la communauté des croyants en marche vers le Royaume. Notre vie est configurée à celle de Jésus. C’est pourquoi nous pouvons vivre de l’Evangile en devenant des témoins de la nouveauté chrétienne en ce monde.



Cf. Mt 28,16-20 Jn 3,38 Rm 6,1-13 IP 2,4-10



La confirmation



Vivre selon l’Esprit de l’évangile dans ce monde, c’est une magnifique vocation, qui exige aussi des lumières et des forces surhumaines. Comme les apôtres n’ont pu accomplir leur mission qu’après avoir reçu la plénitude de l’Esprit le jour de la Pentecôte, ainsi les chrétiens reçoivent-ils le sacrement de la confirmation dans la puissance du même Esprit. Dans ce sacrement, ils puisent des énergies nouvelles pour affronter la vie difficile que leur impose un monde éloigné de Dieu. L’imposition des mains et l’onction d’huile consacrée par l’évêque signifient ce supplément de dons qui leur permettent de confirmer librement leur baptême. En même temps la confirmation les envoie, encore mieux armés spirituellement, pour accomplir joyeusement leur mission de témoins chrétiens dans la société, en communion avec toute l’Eglise qui a prié pour eux.



Cf. Jn 15,26-27 Ac 2 Rm 8,2-27 Ga 5,22-26







La réconciliation



Notre vocation à la sainteté de vie se heurte à nos faiblesses personnelles et au « péché du monde ». Il nous arrive de tomber en commettant des péchés qui nous éloignent -et parfois nous coupent- de l’amour du Père. Heureusement, cet amour nous est toujours offert. Dieu est le bon pasteur qui va sans cesse à la recherche de la brebis perdue. Un sacrement signifie et opère notre retour vers Dieu, qu’on appelle la conversion. A travers le sacrement du pardon, sous les diverses formes qu’il a revêtues au cours des siècles, c’est l’amour du Père qui se manifeste comme plus fort que notre péché, tout en respectant notre liberté. Nous allons recevoir l’absolution de nos fautes avec le regret de les avoir commises, mais surtout avec la joie de nous savoir à nouveau sauvés, pour recommencer une vie plus belle avec les secours intérieurs de la grâce de Dieu. Tel est le beau sacrement de notre libération par la miséricorde de Dieu, ainsi que Jésus la manifestait dans ses rencontres avec les pécheurs en quête de pardon et de vraie liberté.



Cf. Lc 15 et 19,1-10 Jn 20,19-23 IICo 5,17-6,2



L’eucharistie



L’eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne, nous rappelle le concile Vatican II. Il est le grand mystère de notre foi. Il est surtout un immense rendez-vous d’amour avec le Christ vivant. Dans ce repas sacré, Jésus continue de nous toucher avec toute son humanité, puisqu’il s’offre en nourriture spirituelle par la communion à son corps et à son sang. Il n’y a pas d’intimité plus profonde avec le Christ ressuscité, que cette rencontre mystérieuse avec lui. En même temps, Jésus nous donne les uns aux autres pour former le corps de l’Eglise rassemblée par sa parole et nourrie par son propre corps, toujours offert pour le salut du monde. Les chrétiens croient que le signe du pain et du vin partagés contient la présence réelle de Jésus, y compris lorsque la liturgie cesse et que peut continuer l’adoration. Rassasiés par le pain qui donne la vie éternelle, nous pouvons faire de nos vies une meilleure présence d’amour à nos frères et sœurs. Car il s’agit de devenir « eucharistiques » par toute notre existence si bien nourrie par le Pain de Dieu pour la route humaine.



Cf. Jn 6 Lc 22,15-20 24,13-35 ICo 10,14-22



Le sacrement des malades



Tout l’évangile nous raconte comment Jésus éprouva une compassion particulière à l’égard des malades. Il a inventé des gestes de salut pour les réconforter et parfois les guérir. C’est pourquoi les malades et leurs proches cherchaient à le rencontrer, pleins de foi. L’Eglise, à la suite des apôtres, a retenu cette attitude de Jésus comme une invitation à signifier particulièrement l’amour du Christ par un sacrement destiné aux malades. Par la prière, par l’imposition des mains et par l’onction d’une huile consacrée, le prêtre demande au Seigneur de fortifier le malade dans son épreuve et de le guérir –non sans compter sur la médecine- si c’est pour son bien. Par là, c’est la dernière étape de la vie humaine sur cette terre qui est sanctifiée et transfigurée, car la perspective du Royaume peut et doit illuminer les étapes, parfois douloureuses, qui y conduisent.



Cf. Mc 1,29-45 Ac 5,12-16 Jc 5,13-16





Les ministères



Toute la vie du Christ parmi nous s’est déroulée sous le signe du service. Le service de Dieu son Père à travers le service de notre humanité à sauver.

Pour continuer l’oeuvre de Jésus dans son Esprit, l’Eglise a besoin de serviteurs et de servantes qui se mettent à disposition du Royaume et de ses valeurs, quelques-uns « à plein coeur et à plein temps ». Tous les baptisés sont appelés à servir, d’une manière ou d’une autre. Mais certains parmi eux reçoivent une vocation particulière à tel ou tel service, que vient reconnaître et consacrer le sacrement de l’ordre. Un tel ministère se déploie en trois degrés. Les diacres sont consacrés pour le service principal de la parole et de la charité, notamment à l’égard des plus pauvres. Les prêtres sont consacrés pour être les collaborateurs des évêques dans l’annonce de l’évangile, la célébration de certains sacrements et l’animation responsable des communautés chrétiennes. Quant aux évêques, les pasteurs de tout le troupeau de Dieu, ils exercent leur ministère apostolique au service de l’Eglise universelle, en communion avec l’évêque de Rome, tout en dirigeant pleinement une Eglise locale. C’est ainsi que, par tous ces services et tous ces charismes -y compris celui qui s’exprime par les vœux des religieuses et religieux-, l’Eglise vit et se développe comme un corps composé de membres multiples et variés. Tous sont utiles parce que complémentaires les uns des autres, au service de la mission d’actualisation de l’évangile dans le monde d’aujourd’hui.



Cf. Mc 3,13-21 Jn 13,1-20 ICo 12,1-11 Ep 4,1-13 ITm 3,1-13





Le mariage



Dès l’origine de l’humanité, Dieu a voulu signifier son amour créateur par la différenciation des sexes, leur complémentarité dans la tendresse et leur disposition à donner la vie comme une œuvre de collaboration avec lui, l’auteur et le protecteur de toute vie.

L’expérience du couple et la diffusion de la vie humaine sont des merveilles si profondes que l’Eglise a reconnu en elles un signe de la présence de Dieu. Le sacrement du mariage, qui consacre les époux l’un à l’autre pour toujours sous le regard de Dieu, est une trace magnifique de la sollicitude du Seigneur pour la vie d’amour en famille. Alors que les couples semblent aujourd’hui de plus en plus fragiles dans notre société, le mariage chrétien est une forme de prophétisme particulièrement fort. Les mariés, leurs enfants et tous ceux et celles qui les accompagnent, peuvent compter sur cette source de grâces adaptées à leur état. Le sacrement du mariage signifie encore la générosité de Dieu dans l’accomplissement d’une vie certes pas facile, mais aussi remplie de promesses et de bonheur, sous le signe de l’amour humain jailli de l’Amour divin.



Cf. Gn 1,27-28 et 2,18-25 Jn 2,1-11 Ep 5,21-33





Claude Ducarroz















dimanche 13 janvier 2013

Homélie pour le baptême du Seigneur

Baptême du Christ 2013




« Le concile Vatican II a ouvert les portes de l’Eglise pour inviter à y entrer. Mais beaucoup ont profité pour en sortir. »



Cette constatation lue quelque part trouve quelque justification dans les statistiques, du moins chez nous. Peu de baptêmes, et par conséquent de moins en moins d’autres sacrements, comme la confirmation ou le mariage. Et puis il suffit de fréquenter la messe, comme vous ce matin -merci d’être là !- pour vérifier que le nombre des chrétiens dits « pratiquants » a beaucoup diminué ces dernières années. Il faut vraiment de grandes circonstances –et encore- pour que nos églises soient bien garnies et parfois remplies.



C’est que la foi et son corollaire le baptême ne sont plus des héritages que l’on se transmet, presque automatiquement, de génération en génération, à la manière d’un trésor imposé, plus ou moins bien reçu. Bien sûr, les parents et le milieu peuvent encore influencer positivement dans le sens du christianisme. Heureusement ! On peut donner envie d’être chrétien par la parole et surtout par l’exemple de sa vie. Mais on ne peut pas croire à la place d’un autre.



La grâce de la foi est toujours offerte, proposée, mais ce sera de plus en plus à des libertés qui exigent d’être respectées avant de passer à la réponse de conviction et d’engagement On ne naît pas chrétien, on le devient, dans un acte personnel qui implique une adhésion consciente à l’évangile et la pratique d’une existence à la fois magnifique, certes, mais aussi très exigeante.



Car le chrétien, dans notre société, ne peut pas simplement se laisse porter par le flux des habitudes dominantes ou bercer sur les flots des modes courantes. Il doit choisir, décider pour le Christ. En un mot, même si ce sera toujours imparfaitement : devenir un disciple, c’est-à-dire suivre le Christ. Et pas d’autres dieux évidemment. Des dieux qui ne manquent pas, de nos jours aussi.



Est-ce à dire qu’il faut renoncer au baptême des bébés et des petits enfants, sous prétexte que, de toute évidence, ils n’ont rien demandé et ne peuvent encore donner aucune adhésion de foi personnelle à quiconque ?

Non, mais à condition que celles et ceux qui demandent le baptême pour eux s’engagent à les accompagner sur la route de la découverte de la foi chrétienne, dans le respect de leur conscience au fur et à mesure qu’elle s’éveillera certes, et surtout en les entourant de prière, de bons exemples et d’encouragements paternels ou fraternels.



Saint Paul le répétait : il est encore plus urgent et plus important d’évangéliser que de baptiser. Et surtout il serait illogique et même dramatique que des baptisés finalement ne soient jamais évangélisés, alors qu’ils ont reçu les germes de la foi dans le sacrement de leur première consécration à Dieu.



On peut dire du baptême ce qu’on proclame de chaque eucharistie à la messe : il est grand, le mystère de la foi. La liturgie de cette fête nous le rappelle abondamment, mais il faut savoir que l’on parle, dans ces textes, du baptême des adultes.









A ces hommes et ces femmes qui avaient embrassé la foi

chrétienne au milieu d’un monde aussi païen que le nôtre, l’apôtre Paul prend soin de leur redire régulièrement ce que l’initiation au baptême leur avait révélé. Il s’agit, en quelque sorte, de piqûres de rappel.



Vous devez votre baptême à celui qui est mort et ressuscité pour le salut de tous les hommes, et non pas à vos mérites. C’est une pure grâce.

Dans ce bain, vous êtes re-nés, autrement dit, symboliquement, passés de la mort à la vie, ce qui change votre existence, car vous avez été renouvelés par l’Esprit Saint qui a été répandu sur vous en abondance, en vous promettant d’hériter un jour de la vie éternelle.

Ce jour-là, selon l’évangile du baptême de Jésus lui-même, s’est réalisé pour vous la prophétie tombée du ciel sur Jésus : « Toi, tu es mon fils -ma fille- bien-aimé/e, en toi j’ai mis tout mon amour. »



C’est tout cela qu’il faut annoncer, avant leur baptême, à ceux qui ont découvert dans l’évangile le trésor de la vie avec le Christ et l’immense espérance qu’elle ouvre devant eux.

C’est aussi cela que les parents, les parrains et marraines s’engagent à faire connaître aux enfants qu’ils conduisent au baptême sans leur permission, en prenant ainsi pour eux -et un jour avec eux- le beau risque de la foi.



Le baptême, sacrement de la foi ! C’est beaucoup plus qu’une tradition religieuse. C’est beaucoup mieux qu’un rite de passage plus ou moins conventionnel.

C’est commencer l’aventure d’une communion avec Jésus le Seigneur, dans la solidarité avec ces autres chrétiens qui forment l’Eglise, avec la perspective d’une destinée qui conduit au-delà de la mort, jusque dans le Royaume de Dieu.



Comme le disait Jean-Baptiste, on est toujours baptisé « dans l’Esprit-Saint et dans le feu. »



A nous de ne pas éteindre ce qui a été allumé par l’amour du Père.

A nous de collaborer dans la foi pour que les baptisés, enfants ou adultes, découvrent toujours davantage la beauté de leur dignité, la grandeur du mystère trinitaire dont ils sont porteurs et les dimensions extraordinaires de la vie nouvelle qui a commencé en eux ce jour-là.



Claude Ducarroz



vendredi 11 janvier 2013

A propos des reliques de saint Nicolas à Fribourg

Quelques questions-réponses




1. Dès le début, les chrétiens ont entouré de vénération les restes mortels des martyrs et des saints, à l’endroit où ils avaient été enterrés. Puis, ces ossements –appelés « reliques »- ont été dispersés pour permettre une telle vénération un peu partout. Il est vrai qu’il y eut peu à peu des abus dans le culte des reliques. A juste titre, la Réforme protestante a lutté contre de tels abus.



2. Dans les Eglises d’Occident, le culte des reliques est devenu marginal, mais encore présent, notamment dans les lieux de pèlerinages. Ici à Fribourg, nous organisons des célébrations autour des reliques de saint Nicolas à l’occasion de sa fête au début de décembre. Mais nous constatons que les chrétiens d’Orient, orthodoxes et catholiques, ont encore une grande vénération pour ces reliques. Ils viennent, toujours plus nombreux, nous demander de pouvoir prier et chanter devant la relique de ce saint qui figure en éminente place sur leurs iconostases.



3. Saint Nicolas fut un évêque de Myre, dans la Turquie actuelle, qui vécut autour de l’an 300 ans. Il a participé au concile de Nicée en 325. Beaucoup de légende se sont ajoutées à son portrait. Ses reliques furent emportées par des marins à Bari au Sud de l’Italie en 1087 afin de les mettre à l’abri devant l’avancée des troupes ottomanes. De Bari, certaines reliques sont arrivées d’abord au monastère de Hauterive près de Fribourg en 1405. Enfin le pape Jules II en 1506 a demandé à ces moines de donner cette précieuse relique à l’église de Fribourg.



4. Il n’est pas possible de prouver scientifiquement qu’il s’agit des restes de saint Nicolas, mais une expertise de 2005 nous donne des indices qui permettent de le supposer. L’important, c’est que cet objet sacré fasse partie intégrante de l’histoire, de la culture et de la symbolique de Fribourg, comme le prouvent les foules qui viennent fêter saint Nicolas à la cathédrale chaque année au début de décembre. C’est pourquoi nous tenons beaucoup à ce qu’il demeure chez nous. Même si nous comprenons que les autorités de Myre veuillent faire un musée autour de la figure de saint Nicolas.



Claude Ducarroz



lundi 7 janvier 2013

Au chevet de l'oecuménisme

Au chevet de l’oecuménisme




C’est grave, Docteur ? On le pressentait, mais maintenant, on l’exprime ouvertement: l’oecuménisme est gravement malade.



Le docteur (en théologie) Gottfried Locher, président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, a estimé le 5 novembre dernier à Berne, que « l’oecuménisme officiel protestant-catholique traverse sa phase la plus difficile depuis le début du mouvement œcuménique. » Pour justifier ce diagnostic pessimiste, il y a des signes qui ne trompent pas. Pour Gottfried Locher, « ne pas se reconnaître en tant qu’Eglise et ne pas avoir de but commun pour l’unité, voilà la crise de l’œcuménisme ». Et le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, de lui répondre en écho: « Aujourd’hui, nous ne sommes pas capables d’avoir une compréhension commune de ce but, à savoir l’unité visible des chrétiens. » Bref, pire que la cacophonie, c’est l’impasse !



En Suisse

Pour ne citer que quelques exemples helvétiques, nous devons constater que les sujets de divergences s’accumulent. Protestants et catholiques ne sont pas d’accord, et ils le disent publiquement, sur l’accès à la Cène pour les non-baptisés, sur une liturgie de « mariage » pour les homosexuels, sur l’accueil réciproque à la communion eucharistique, sur les questions éthiques posées par les débuts et la fin de la vie humaine, etc... La commission chargée de revisiter l’accord du 5 juillet 1973 sur la reconnaissance mutuelle du baptême entre l’Eglise catholique, les Eglises protestantes (FEPS) et l’Eglise catholique-chrétienne peine beaucoup à étendre ce progrès œcuménique à d’autres communautés. Quant aux diverses commissions de dialogue, il faut bien reconnaitre qu’elles cherchent leur second souffle, quand elles ne sont pas saisies par la léthargie.

On ne peut que déplorer une telle situation. Certes, de toutes parts, nos autorités disent et redisent que l’oecuménisme est devenu une dimension essentielle de la vie de nos Eglises. Le cardinal Koch l’a répété à Berne le 8 novembre dernier : « L’oecuménisme est obligatoire parce qu’il répond à la demande du Christ et irréversible parce que le concile Vatican II et tous les papes de Jean XXIII à Benoît XVI en ont fait le cœur de leur prédication et de leur action. » Dont acte. (1)



L’élan de Vatican II

On s’en souvient. C’était il y a 50 ans. L’oecuménisme avait soulevé une immense espérance à partir du moment où l’Eglise catholique était –enfin !- montée dans le train du mouvement œcuménique. Mais, au niveau doctrinal, on ne pouvait pas faire l’impasse sur presque cinq siècles de divergences séparatrices et de différences pratiques. Vatican II a inversé le cours de notre triste histoire d’éloignement. Encore fallait-il refaire le chemin en sens inverse pour se rapprocher et si possible se donner la main dans le respect de nos identités en ce qu’elles ont de conforme à l’Evangile.

Il semble que l’on ait épuisé actuellement la marge de réconciliation sur les liens les plus faciles à renouer. Des progrès incontestables ont été réalisés, tant au plan des doctrines que des pratiques. L’encyclique de Jean-Paul II sur l’œcuménisme –Ut unum sint 1995- a signifié un pas en avant dans la ferme volonté œcuménique de l’Eglise catholique. Il n’est pas anodin de dire, par exemple au sujet du ministère de l’évêque de Rome: « La communion réelle, même imparfaite, qui existe entre nous tous ne pourrait-elle pas inciter les responsables ecclésiaux et leurs théologiens à instaurer avec moi sur ce sujet un dialogue fraternel et patient dans lequel nous pourrions nous écouter au-delà des polémiques stériles, n’ayant à l’esprit que la volonté du Christ pour son Eglise, nous laissant saisir par son cri : « Que tous soient un… afin que le monde croie (Jn17,21) » ? (no 96) Beau programme !

Pour sa part, le Groupe des Dombes a contribué à rendre plausibles et même possibles des avancées décisives sur des points délicats comme la conversion des Eglises (1990), la place de Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints (1999), l’autorité doctrinale dans l’Eglise (2005) ou la réconciliation des divers ministères dans la symphonie des charismes (1972), y compris le ministère épiscopal (1976) et le ministère de communion dans l’Eglise universelle (1985).

Un coup de froid a certes soufflé sur ce beau temps œcuménique lorsque la Congrégation pour la doctrine de la foi a insisté pour dire que les Eglises protestantes n’étaient, à ses yeux, que des « communautés ecclésiales » et non pas des Eglises au sens propre du mot (Dominus Jesus 2000 no 17). Mais ne pouvons-nous pas vivre encore des espérances soulevées par le document de Foi et Constitution (Lima 1982) intitulé « Baptême, eucharistie et ministère » ? (2) Ne devons-nous pas tout faire pour mettre en œuvre la Charte œcuménique européenne du 22 avril 2001 ?



Sur le chantier

Nous sommes maintenant confrontés ensemble aux nœuds les plus coriaces. Car on ne dénoue pas d’un coup de baguette magique les oppositions les plus fondamentales qui ont malheureusement justifié entre nous des siècles de divisions, d’affrontements et même de guerres. Il faut donc s’attaquer aux plus gros points de résistance théologique. Quel rôle pour l’Eglise dans la vie chrétienne ? Quelles figures et configurations d’autorité pour conduire le peuple de Dieu, au plan local et au niveau universel ? Comment revisiter la théologie et la pratique des sacrements ? Et la communion des saints ?

J’entends déjà le chœur des pessimistes : « On n’arrivera jamais à s’entendre sur ces sujets, acceptons nos différences telles qu’elles sont -à savoir irréconciliables- et allons de l’avant ainsi ». Mais est-ce bien cela que le Christ a voulu dans sa prière pour l’unité trinitaire de ses disciples dans la diversité assumée? Est-ce ainsi que se présente, dans le Nouveau Testament, la symphonie des Eglises apostoliques, certes fort différentes, mais toujours unies par une communion pascale fondamentale ? Suffit-il que nous soyons gentiment divisés pour annoncer l’Evangile dans notre société, « afin que le monde croie »?

On sent que nos principaux responsables se contentent de dresser la liste des travaux qui restent à accomplir au lieu de se mettre à l’ouvrage sur le chantier, fût-ce en commençant modestement. L’attentisme n’est pas une vertu chrétienne quand urge le devoir de réconciliation entre Eglises. Nous ne devons donc nous résigner ni au statu quo paresseux ni à l’œcuménisme dépressif qui paralysent nos efforts vers l’unité, alors que continuent de souffler les inspirations de l’Esprit et demeure vivante l’attente priante de tout le peuple de Dieu. Des responsables politiques, en Allemagne par exemple, viennent de le rappeler courageusement aux responsables religieux. (3)



Signes d’espérance

En plus des motivations spirituelles, il y a au moins une bonne raison d’y croire encore et d’y œuvrer toujours : la déclaration commune d’Augsbourg sur la justification par la foi (31 octobre 1999). Le sujet était crucial et délicat. Et pourtant l’Eglise catholique et la Fédération luthérienne mondiale sont parvenues officiellement à un résultat plein d’espérance grâce à la méthode féconde du « consensus différencié » qui honore l’unité des profondeurs de la foi sur la base du respect de diversités acceptables et reconnues dans la manière de l’exprimer et de la vivre. Pourquoi ne pas récidiver sur d’autres thèmes, comme par exemple l’eucharistie ou le ministère épiscopal, si l’œcuménisme n’est pas la victoire d’un camp sur un autre, mais selon la belle expression de Jean-Paul II, « un échange de cadeaux » ? Eh ! bien, échangeons encore !

Nous sommes ensemble au pied de la parole de Dieu, avec nos traditions respectives. Mais « nos Eglises veulent-elles vraiment le changement qu’exige la recherche de l’unité ? », se demande opportunément le président Gottfried Locher.

Un signe intéressant nous vient justement de Gottried Locher. Au moment où les Eglises protestantes s’apprêtent à commémorer les 500 ans de la Réforme en Suisse (2019), il a déclaré courageusement que ces Eglises devaient se concentrer sur l’œcuménisme entre elles, y compris en invitant ces Eglises à « rédiger une confession de foi qui permette de clarifier ce que croient les réformés. » (4) On veut croire qu’il n’y a pas dans cette démarche positive d’un œcuménisme intra-protestant l’aveu d’un découragement dans la poursuite de l’œcuménisme avec l’Eglise catholique. On a assez regretté que le protestantisme ait tant de peine à résister aux tentations d’émiettement pour se réjouir de tout effort de rassemblement. On a assez souhaité que les réformés redéfinissent leur profession de foi, comme ils le firent aux premiers temps de la Réforme, pour attendre avec l’impatience de l’espérance ce que sera le Credo qu’ils nous promettent. Ce sera tout bénéfice pour l’œcuménisme !

En attendant, réjouissons-nous ! Les groupes œcuméniques à la base –notamment parmi les foyers mixtes- continuent leur petit bonhomme de chemin. Il est essentiel qu’ils persévèrent comme ferment actif au sein des communautés, malgré la déception que peuvent engendrer les lenteurs et les freins dans les relations « au sommet ». En pleine page œcuménique -celle de la prière, des partages bibliques, des collaborations interparoissiales –, ces modestes ouvriers de l’unité de l’Eglise doivent poursuivre leur travail de rapprochement, par l’intelligence et par le cœur. Il y a même encore de l’espace sur certaines marges prophétiques, pourvu que l’on demeure sur la page de la fidélité essentielle, certes dans la souffrance de l’inachevé mais aussi dans la joie de réelles avancées. Le risque existe que ces réalisations « à la base » s’opèrent hors du lien avec les autorités de nos Eglises. Mais celles-ci ne doivent-elles pas écouter davantage ces chrétiens sans prétention qui heurtent à la porte de l’unité en marche, afin que nos responsables redoublent d’imagination créatrice pour tracer les voies qui mènent plus rapidement à la réconciliation des Eglises ? Il serait malheureux que nos meilleurs apôtres de l’unité dépriment ou se trouvent marginalisés alors que l’avenir leur appartient, si l’on croit vraiment que l’oecuménisme réussi est le vrai futur du christianisme, selon le plus cher désir de Jésus pour tous les siens.



Claude Ducarroz





1) Mais comment interpréter le fait que l’œcuménisme tienne si peu de place dans le beau message du dernier synode des évêques sur la nouvelle évangélisation (28 octobre 2012) ? Pas un mot sur une éventuelle évangélisation avec les autres chrétiens.



2) Pour être honnête, il faut reconnaître que le document de Lima avait été très fraîchement accueilli par la Fédération des Eglises protestantes de Suisse. (Cf. leur réaction en date du 3 avril 1986).



3) Dans un « document de notre impatience », ces leaders politiques de tous les partis estiment que « l’oecuménisme, c’est maintenant…parce que les différences confessionnelles qui se sont développées dans l’histoire ne peuvent plus justifier le maintien de la séparation dans la chrétienté. » Berlin, le 5 septembre 2012.



4) Gottfried Locher a même utilisé l’expression : «Concentrons nos forces là où, aujourd’hui, la fusion ecclésiale a une chance. … La prochaine étape est de créer l’unité protestante. »





Claude Ducarroz



Article publié dans la revue Choisir de janvier 2013



Voir www.choisir.ch

dimanche 6 janvier 2013

Homélie de l'Epiphanie

Epiphanie 2013




C’est qui, ces bonshommes ? De manière plus polie, le pape Benoît XVI se pose la même question dans son dernier livre consacré à l’enfance de Jésus. Qui sont ces « Mages venus d’Orient » dont nous parle l’évangile de cette fête ?



* Des mages, selon le texte biblique, avec le côté fascinant, mais aussi inquiétant, que peut induire le mot « magie », surtout quand elle vient d’Orient.

* Des savants, et même des scientifiques, puisqu’ils observent le cours des astres. Peut-être tout simplement des astrologues.

* De toute évidence, ils ne se contentent pas de constater, ils sont sensibles aux signes qui dépassent le pur phénomène physique. Ils seraient donc des sages, voire des philosophes rompus à l’interprétation des évènements.

* Et puis la tradition en a fait des rois parce qu’ils viennent « adorer le roi des juifs », et parce que le psaume 72 avait annoncé que tous les rois de la terre viendraient se prosterner devant le Messie promis.



Quant au nombre trois, déduit à partir des trois cadeaux royaux offerts à Jésus, il permet de décrire ces personnages mystérieux comme provenant des trois continents connus alors : l’Europe, l’Afrique et l’Asie.

Et puis il ne faudrait pas oublier le rôle essentiel de l’étoile - un élément de la seule nature, mais investi d’une importante fonction- qui finit par s’arrêter exactement au dessus du lieu où se trouvait l’enfant Jésus.



Comme vous le devinez, au-delà des aspects historiques qui demeurent bien mystérieux, c’est dans le champ de la symbolique qu’il nous faut creuser pour trouver, si possible, un sens actuel à cet étrange épisode que Matthieu est le seul à raconter.



Et là, nous avons beaucoup à apprendre et beaucoup à retenir. On pourrait le résumer en une phrase : de la nature -à travers l’étoile- aux cultures –par la sagesse et par les sciences- en passant par le culte -ils viennent en adorateurs- : tout conduit au Christ, tout se prosterne à ses pieds, tout culmine en lui. L’arrivée de ces mages non juifs venus du lointain Orient signifie que toute l’humanité, dans l’extrême variété de ses manières d’être, de penser et de croire, se rassemble finalement dans l’attraction exercée par le Christ, même lorsqu’il est encore muet, ou du moins discret, dans le brouhaha des civilisations.



Le Christ n’est pas la propriété privée des seuls chrétiens.

Surtout depuis l’évènement de sa résurrection, complétée par son ascension et l’envoi de l’Esprit, le Christ déborde infiniment ceux et celles qui l’ont reconnu dans l’AOC du christianisme. C’est ce qu’insinuent déjà, au départ de son existence terrestre, ces mages mystérieux venus d’on ne sait où et repartis chez eux par un autre chemin. A nous d’élargir notre esprit, notre cœur et notre foi à ces nouvelles dimensions du salut apportées dès Bethléem, par le Jésus de Nazareth et le Seigneur de Pâque.



* La nature d’abord. Elle chante la gloire de Dieu. Puisque tout a été fait par lui et pour lui, le Christ est vraiment le centre écologique de l’univers. Chaque fois que nous contemplons avec admiration les merveilles de la nature, nous rendons gloire à celui qui tient toutes choses dans l’être par un geste d’amour. Quand nous étudions les secrets de la vie et de toutes choses, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, quand nous respectons ce monde tout en en faisant un usage raisonnable, nous rendons hommage à celui qui a pris le beau risque de nous le confier, non pas pour le dévaster au bulldozer, mais pour le cultiver à la manière d’un bon et délicat jardinier.



* Et puis, il y a la culture, ces constructions que l’homme, à partir de la nature et en puisant dans ses capacités créatrices, ajoute au monde et à l’histoire, pour leur donner un sens par la pensée, pour les décorer de multiples beautés, pour inventer de nouvelles fraternités, pour enrichir l’humanité de tout ce qui peut lui faire expérimenter que les êtres humains, quels qu’ils soient, sont bel et bien créés à l’image et à la ressemblance de Dieu.



Rien que dans cette cathédrale, nous pouvons expérimenter en concentré ce que la culture peut avoir d’humain et de divin en alliance. Il suffit, comme on l’a fait spécialement durant l’année jubilaire du chapitre cathédral, de regarder ses beautés de pierre, de verre, de bois, de peinture, d’écouter la musique et les chants, en nous rassemblant dans un peuple fraternel, en fête par et pour son Dieu.



* Et le culte alors ? Tout en appréciant et en soignant notre relation à Dieu selon la révélation judéo-chrétienne et dans la communion de l’Eglise, il nous faut encore élargir notre vision de la religion. Comment, à la suite des mages, ne pas espérer que tous les croyants sincères, tous les priants du monde, quelles que soient leurs religions, soient finalement en chemin vers le Christ seul médiateur entre Dieu et les hommes ?

Y compris ceux qui ont de la peine à croire ou se disent incroyants, s’ils sont en quête profonde d’un sens ultime à leur vie et à leur mort, dans un partage généreux avec celles et ceux qui les entourent.



Finalement, c’est à nous de leur révéler celui qu’ils ignorent encore et qui pourtant les aiment comme il nous aime, afin qu’ils trouvent un jour le visage de celui qu’ils cherchaient sans le savoir dans le sanctuaire secret de leur conscience.



La nature, la culture, le culte, tous en route vers le Christ, comme les mages vers la crèche ! Il y a un moment privilégié où nous expérimentons cela, tous ensemble. C’est justement maintenant, à l’eucharistie.

La nature est là, avec ce pain et ce vin qui sont d’abord des fruits de la terre. Et la culture aussi, car ils sont aussi les fruits du travail des hommes et des femmes. Et puis il y a ici tant d’autres richesses culturelles : la parole, les gestes, la musique, les chants, les arts, dans l’écrin d’une si belle cathédrale toute resplendissante des traces héritées des cultures anciennes et récentes.

Avec au centre cette parole qui m’émeut toujours : le Christ du pain et du vin consacrés « pour vous et pour la multitude ». Pas seulement pour nous, mais pour les multitudes.



Alors le rayonnement de l’Epiphanie du Seigneur prend des dimensions nouvelles. Cette « manifestation » gagne peu à peu les profondeurs de l’humanité et les confins de la terre. Nous célébrons cette messe sur le monde et sur l’histoire. Enfin -il était temps-, nous devenons catholiques !



Claude Ducarroz



samedi 5 janvier 2013

Nouvel An 2013

Homélie du 1er janvier 2013




Permettez cette confidence : je vis habituellement dans un environnement propice à la méditation de Nouvel-An.



Alors, brièvement, pour tenir compte de votre longue nuit éveillée, je vous invite à partager cette petite réflexion contemplative sur mon paysage quotidien.



J’habite au bord d’une rivière. Elle coule littéralement à mes pieds. Inexorablement, 365 jours par an, comme ma vie, la vôtre. La vie tout court. L’eau passe, dit un rapide bonjour bleuté-vert-brun, et s’en va plus loin. Toujours, jour et nuit.



Et les années passent aussi, avec leurs mois, leurs jours. Déjà 2013 et combien d’années au compteur de l’existence ? Une de plus… une de moins… c’est selon ! Plus on avance en âge, mieux on comprend le poète Lamartine qui soupirait : « O temps, suspends ton vol.» Avec cette conclusion réaliste qu’il nous faut empêcher de devenir triste : « L’Homme n’a point de port, le temps n’a point de rive. Il coule et nous passons. »



Mais heureusement, ma rivière a des rives, et même deux, pour lancer et accueillir des ponts. De mon balcon, j’en compte cinq, plus un autre, majestueux, en pleine construction, celui de la Poya !

L’eau coule sous les ponts, mais ces ponts tiennent bon. Tout un symbole !



Pour défier le temps qui passe, il faut devenir pontife. Il faut construire des ponts. Il faut bâtir des relations qui soient solides, par l’élan d’un amour qui enjambe les abîmes et permet la circulation des relations humaines. Les ponts du cœur !



Mes ponts, mes relations, mes communions.

Quels ponts ai-je jetés vers d’autres durant l’année 2012 ? Quels ponts sont envisagés, peut-être en chantier, pour transfigurer l’année 2013 par un surcroît d’amour ?

Réparer des ponts, en construire de nouveaux peut-être, c’est racheter le temps, c’est glisser de l’éternel dans le fleuve impétueux de la vie, c’est défier la mort, car l’amour ne passe jamais, dit l’apôtre Paul.

Devenir des ouvriers sur les chantiers du don, du pardon, de la communion, c’est une belle mission en même temps qu’un rude labeur. Mais c’est la seule manière d’être heureux, que ce soit dans nos familles, dans nos milieux de vie ou nos communautés d’Eglise.



Tous des pontifes, et 2013 sera une bonne, une meilleure année !



Et puis, je me retourne sur mon balcon qui domine la Sarine aux couleurs très variables, comme les saisons de la vie.



Et qu’est-ce que je vois toute illuminée : la haute tour de la cathédrale, qui veille et surveille.

Comme un doigt levé vers le ciel, qui indique la bonne direction, qui rappelle la vraie destinée de nos existences éphémères, qui nous invite, moins à observer le temps qui passe, qu’à tendre vers ce qui ne passe pas, à savoir la relation ombilicale avec Dieu, l’ancrage dans la communion avec l’Eternel.

Il y a dans ce clocher majestueux, qui domine maisons, rivières et ponts, le symbole bienheureux de la vie en Christ, dans sa Parole - lumière pour la route -, dans son Eucharistie - pain pour le voyage vers la vie éternelle -, dans son Esprit - guide sûr dans les méandres du pèlerinage temporel.



Dans la contemplation de cette tour altière, comme dans l’intimité du sanctuaire liturgique, je retrouve la paix, la rivière de ma vie cesse de m’angoisser, les ponts sont fleuris par les béatitudes, et même certaines passerelles un peu branlantes ajoutent de l’humour à l’aventure humaine.

Et j’entends, par-dessus le roulis des flots et la rumeur des ponts encombrés de voitures, la voix d’un ange accroché au sommet de la cathédrale, là-haut, qui répète un refrain si connu qu’on risque de l’oublier :



« Gloire à Dieu,

Paix sur terre

Aux humains que Dieu aime. »







Bonne année 2013 !

Dimanche de la sainte famille

La sainte famille 2012






La sainte famille !

Sainte ! Sûrement. On ne peut trouver plus sainte puisqu’elle est composée de Jésus, le Saint par excellence, de Marie la « toute sainte » et de Joseph, saint Joseph, un saint homme !

Mais « famille », il faut bien reconnaître que Jésus, Marie et Joseph constituent une famille très particulière, et même absolument unique.

Une mère qui est aussi vierge ! Un père qui n’est pas le vrai père de l’enfant, même si beaucoup, et longtemps, prirent Jésus pour le fils de Joseph. Et bientôt, déjà à 12 ans comme le prouve l’évangile de ce jour, cet enfant dira « père », et un jour « abba, papa », à un autre, à savoir Dieu lui-même.

Pour compléter le portrait de famille, il faudrait parler des frères et sœurs de Jésus – dont les évangiles donnent même les noms – qui, selon une tradition ancienne et presque universelle – sont des proches parents de Jésus, ou alors, selon une autre tradition, les enfants d’un premier mariage de Joseph.



Pour une famille compliquée, c’en est une. Et pourtant, l’Eglise persiste à la donner comme modèle à toutes les autres familles – les nôtres – en particulier en ce dimanche qui suit Noël, fête de la sainte famille.



Il nous faut donc nous concentrer sur le versant imitable de son aventure, pour trouver en elle de quoi éclairer, conforter, nourrir nos familles d’aujourd’hui dont on sait bien qu’elles deviennent de plus en plus « spéciales », elles aussi, mais pas nécessairement pour les mêmes raisons évidemment.



Alors quel est le secret de cette famille de Nazareth, qui puisse nous aider à vivre en famille aujourd’hui, sur ce modèle-là, à savoir dans la foi et dans l’amour (2ème lecture).

Tout se concentre sur la personne de l’enfant, ce Jésus, fils de Marie, fils de Joseph, fils de Dieu. Trois fois fils ! Et chaque fois autrement.



+ Fils de Marie ! St Paul ne fera qu’une fois allusion à Marie, et d’ailleurs sans donner son nom, en disant de Jésus qu’il est « né d’une femme » Gal. 4,4. La relation à sa mère, dans la communion des 9 mois de la grossesse, dans l’allaitement – auquel une femme dans la foule rappellera l’expérience à Jésus lui-même « heureux les seins qui t’ont nourri » Lc 11,27 : tout cela constitue la base physique et affective de la vie humaine, irremplaçable. Respecter la femme, les femmes, toutes les femmes – les mères et les autres. Et que les femmes se fassent respecter elles-mêmes ! C’est un devoir basique, une attitude bienheureuse, peut-être aujourd’hui une lutte nécessaire, même si elle ne semble pas toujours populaire.

Jésus l’a vécu, dans une juste liberté, car la maternité doit mettre au monde et dans le monde, et non pas retenir en son sein. Jésus l’a dit, il l’a fait, mais on devine avec quel respect et amour, lui qui retourne à Nazareth après la fugue de Jérusalem, parce qu’il devait « être aux affaires de son Père », mais aussitôt après pour « grandir en sagesse, en taille et en grâce » sous le regard conjoint de Dieu et de ses parents.



+Fils de Joseph, le charpentier !

Jésus fut un enfant adopté par amour et aussi dans un acte de foi, plus fort que toutes les questions qui ne manquèrent pas. Quelle merveilleuse capacité de foi et d’affection chez Joseph ! La dimension de l’amour, le climat de confiance, l’accompagnement à la fois de proximité et de respect : tels sont encore aujourd’hui les ingrédients d’une vraie famille. Celle qui normalement coïncide avec les liens du sang, et aussi celles qui expérimentent, au terme de bien des épreuves, les bienfaits de l’adoption, sous une forme ou sous une autre, et elles se multiplient.

Jésus adopté par Joseph, pleinement accueilli et reconnu : il ouvre tellement de portes en forme de bras, de cœur.



+Eh ! bien, allons au cœur, justement.

C’est-à-dire en Dieu, dans la famille divine, la communion trinitaire, le sanctuaire le plus sacré (cf 2ème lecture). Le fils éternel du Père est devenu le fils de Marie, l’enfant béni de Joseph, notre frère universel. L’enfant de Noël et de Pâques, c’est lui qui ouvre nos familles humaines au mystère – ou plutôt à la présence – de la famille trinitaire au milieu de nous.

Un sacrement signifie et réalise cela dans la vie de l’Eglise : le sacrement de mariage. L’irruption de la communauté trinitaire vient habiter – pour les transfigurer – nos communions de cœur, d’esprit et de corps. Elle les irradie du dedans d’un amour supérieur qui vient non pas suspecter ou supprimer nos tendresses humaines, mais les surélever en qualité et les préparer à devenir éternelles.

En ce sens, quelles que soient les conjonctures humaines, dans nos familles imparfaites, la sainte famille de Nazareth trouve un foyer, un nid, ou peut-être seulement une crèche, pour que son Noël devienne aussi le nôtre.



Claude Ducarroz