dimanche 31 août 2014

Dédicace de la cathédrale

Homélie
Dédicace de la cathédrale 2014

Ainsi donc, depuis sa consécration le 6 juin 1182 par l’évêque de Lausanne Roger de Vico Pisano jusqu’à aujourd’hui, une église a toujours été, non seulement au cœur, mais le cœur de notre cité, et dès le départ, sous le patronage de saint Nicolas de Myre.

Mais finalement, qu’est-ce qu’une église, aujourd’hui, dans notre contexte social et religieux ? Je me suis posé la question à la suite de deux expériences qui m’ont marqué.

* La première, c’était au Canada, exactement à Shawinigan dans le Québec. Je croyais visiter une belle église moderne en forme d’étoile présentée comme un sanctuaire évoquant le mystère de Noël. Et je suis entré de fait dans un restaurant où l’on avait gardé des statues d’anges près de l’entrée et même aménagé un bar du confessionnal.
* La deuxième expérience date du 9 août dernier. Je visitais la charmante ville de Maastricht au sud de la Hollande. J’entrai dans une grande église gothique près de la place centrale…et c’était une vaste librairie, avec un coin pour le bar et la petite restauration dans le chœur de cette église désacralisée et vendue à une chaine de librairies.

C’est dire combien les murs, fussent-ils sacrés et consacrés, demeurent aléatoires dans leur utilisation et même fragiles dans leur existence s’il n’y a plus d’Eglise dans l’église. Je veux dire s’il n’y a plus de communauté chrétienne vivante –l’Eglise avec E majuscule-  pour habiter une église, avec é minuscule. Nous devons en être conscients dans le contexte où nous sommes, y compris chez nous.

Il suffit de rappeler que lors d’une enquête sérieuse de fréquentation de la messe dominicale le week-end des 15 et 16 juin 2013, on a certes recensé dans le décanat de Fribourg 69 messes célébrées dans les églises et nombreuses chapelles, mais avec un total de 4825 pratiquants, soit moins de 10% des catholiques déclarés, et seulement 6% chez les 20-30 ans pour 36% chez les plus de 70 ans.

Ces chiffres ne sont qu’un reflet partiel de la réalité chrétienne, qui, par définition, échappe à toute comptabilité. Et peut-être faudrait-il élargir ce qu’on entend par Eglise avec majuscule, à savoir le rayonnement du Christ et de l’Evangile chez les hommes et les femmes qui, peu ou prou, en le sachant ou parfois sans le savoir, se réfèrent à eux pour vivre humainement.

Je vois trois cercles poreux, à savoir des catégories qui n’ont ni barrières ni frontières, car on circule entre eux suivant les circonstances de la vie.

* Il y a ceux et surtout celles qu’on appelle les pratiquants fidèles et réguliers. Vous sans doute ce matin. Merci d’être là. Sans ce noyau, même modeste en nombre, que deviendrait l’Eglise et que deviendraient les églises ? Tant qu’il y aura des chrétiens avides de la parole de Dieu, affamés de l’eucharistie, désireux de se retrouver souvent avec d’autres pour faire communauté, alors la promesse du Christ sera encore vivante et efficace au cœur de notre monde : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là au milieu d’eux ».
Car l’Eglise, c’est surtout là où des êtres humains croient au Christ, viennent chercher dans les églises de quoi nourrir cette foi et ensuite la mettre en pratique dans leur vie, même s’ils ne sont pas et ne seront jamais des chrétiens parfaits. Comme le rappelle saint Paul aux chrétiens de Corinthe : « Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous ! »

* Mais, heureusement, l’Eglise déborde sans doute cette première catégorie de convaincus fidèles et persévérants.
Il y a ces croyants intermittents, parfois occasionnels, qui ont retenu l’essentiel de l’Evangile, même s’ils sont devenus des clignotants de l’Eglise, parfois pour des raisons compréhensibles. Ils se définissent eux-mêmes, en s’excusant un peu, comme des « croyants non pratiquants ». Il faut les accueillir fraternellement quand ils viennent encore, car la famille ecclésiale n’est pas faite seulement des meilleurs et des purs –que nous croyons être parfois- mais aussi de ceux qui cherchent encore du côté du Christ. Ils ont peut-être des difficultés avec l’Eglise -et parfois notre Eglise-, mais ils trouvent dans les beaux restes de leur foi de quoi mieux vivre, espérer et aimer.
Ils viennent parfois dans nos églises pour des piqûres de rappel. Comme c’est important qu’ils s’y sentent bien, même s’il y a des éclipses du côté de l’Eglise, afin de repartir réconfortés dans leur quête d’un sens à leur vie du côté du soleil du Christ,. Finalement : tout comme nous, et nous l’espérons, un jour peut-être : avec nous.

* Enfin il y a la frange de plus en plus importante de celles et ceux qui se sont éloignés même de la foi, en étant souvent très critiques à l’égard de l’Eglise. Ils ont éteint la lampe du sanctuaire. Mais, sans le savoir, ou souvent sans l’avouer, ils profitent encore des bienfaits du christianisme, parfois celui de leur enfance, dont ils ont gardé une certaine mentalité et quelques réflexes de justice, d’amour et de paix.
 Sans le dire ainsi, ils sont des humains aux couleurs chrétiennes, que ce soit par l’état d’esprit, le système des valeurs ou tout simplement les bases de leur culture.
Je les repère souvent dans les touristes ou simplement les curieux de nos églises, chapelles ou monastères, qu’ils visitent avec avidité. Ils cherchent des émotions esthétiques peut-être, mais aussi ils recueillent volontiers des messages d’évangile qui peuvent les faire réfléchir et bouger dans leur désir d’une meilleure humanité.
Je crois que nous devrions être plus attentifs à ce genre de public et faire de nos églises des lieux d’évangélisation douce par le rayonnement de leurs beautés, de leur ambiance sereine, de leur chaleureux accueil.

Au cœur de nos églises, il y aura toujours, je l’espère, l’écoute de la Parole de Dieu,  la célébration des sacrements et la joie de faire communauté dans l’Esprit de l’Evangile. Mais peut-être faut-il aussi ouvrir nos cœurs et déployer nos ailes vers de nouveaux « passants de la foi », « occasionnels de la prière », « alternatifs de la liturgie », « désireux de l’ambiance des sanctuaires », « touristes de la beauté sacrée ». Ils doivent se sentir, à des degrés divers et dans le respect de leur conscience, de la famille de Dieu, de la maisonnée de l’Eglise.
Car nos églises ne sont-elles pas, finalement, les vraies « maisons du peuple » ?          De tout le peuple !

Claude Ducarroz


jeudi 14 août 2014

Homélie de l'Assomption de Marie

Assomption 2014

Le corps. Notre corps humain. C’est le bon moment d’en parler. Je ne dis pas cela parce que les corps s’étalent avec complaisance dans presque toutes les publicités, y compris celles qui n’ont rien à voir avec le corps. Pas non plus parce que, à la faveur de l’été, fût-il pluvieux, beaucoup de personnes, jeunes et même moins jeunes, confondent la plage et la rue. Non.

Quitte à vous étonner, c’est la fête de ce jour –l’Assomption de Marie- qui me ramène au corps. Car le corps est bel et bien au cœur de cette célébration, comme vient de le rappeler l’oraison de cette messe : « Dieu qui as fait monter la Vierge Marie jusqu’à la gloire du ciel, avec son âme et son corps… »
Ainsi donc nous confessons qu’à la suite de Jésus ressuscité, le corps, en l’occurrence le corps d’une femme –Marie de Nazareth-, est désormais pleinement immergé dans la gloire de Dieu, par un mystère d’assomption qui a respecté entièrement son humanité, y compris sa dimension physique.
La corporéité, et pas seulement la spiritualité, est dès lors associée à la divinité en toute transparence. C’est finalement une belle aventure qui commença dans le mystère de la création, en passant par l’incarnation, pour aboutir finalement à la transfiguration « corps et âme » en Marie. Et un jour aussi en nous.

« Dieu les créa à son image, comme homme et femme, il les créa », raconte le premier livre de la Bible, à savoir dans la complémentarité des sexes et la fécondité de leur amour. C’est aussi par notre corps –nos corps différents- que nous existons à la ressemblance de Dieu- Trinité. Il y a donc du sacré et même du divin, en beauté et en générosité, dans nos personnalités humaines, y compris quand elles s’expriment dans les multiples facettes des formes, des sens et des gestes corporels. Tant d’artistes ont exprimé cela, notamment dans la figure de Marie, que ce soit dans les fascinantes splendeurs de sa féminité ou dans les émouvantes candeurs de sa maternité.

Bien sûr, il y eut le péché. Il y a le péché, qui est trop souvent cette corruption du meilleur par le pire. N’empêche que le salut n’est pas venu mépriser le corps sous prétexte de le sauver, comme s’il fallait l’écraser avant de le relever. Le Sauveur, c’est le Verbe fait chair, et en passant par le sein d’une femme pleinement respectée : « Le fruit de tes entrailles est béni », dit Elisabeth à Marie. Et cette femme dans la foule qui dit à Jésus : « Heureuse la mère qui t’a porté dans son ventre et qui t’a nourri de son lait ! » Littéralement : « Les seins que tu as sucés. »

Le salut apporté par Jésus, le fils de Dieu fait homme, touche et transfigure tout l’humain, comme on le voit surtout dans le mystère de la résurrection de la chair pour Jésus le premier né d’entre les morts, comme on le constate aussi aujourd’hui dans la contemplation de l’assomption de Marie, en son âme et en son corps.  Sans compter que chacun de nous est un « promis à la résurrection », à la suite de Jésus et comme Marie, la première arrivée toute entière dans le soleil pascal.

Tous les sacrements, qui agissent tous quelque part par un geste corporel, viennent nous rappeler le beau mystère de l’incarnation. Mais celui que nous allons recevoir bientôt, à l’invitation de l’Eglise, est particulièrement significatif. Que se passe-t-il quand nous tendons la main humblement pour recevoir la communion eucharistique ? Nous accueillons avec foi dans notre corps le corps du Christ ressuscité, celui qu’il a reçu lui-même de sa mère Marie. Et dans ce corps à corps mystique mais réel, nous devenons un peu plus le corps communautaire de Jésus qu’on appelle l’Eglise. Dont Marie est la mère.
Aucune distance, aucun mépris, aucun rejet : le corps est partout, dans la création restaurée, dans la Pâque transfigurée, dans l’eucharistie nourrissante, dans l’Eglise mère porteuse de toutes ces communions. Avec Marie, comme Marie.

Bien sûr, comme fils de Dieu créateur, comme frères bénis de Jésus, comme enfants chéris de Marie, puisque Jésus nous l’a donnée pour mère du haut de sa croix et aujourd’hui du sein de sa gloire : nous avons une belle et difficile mission : croire plus que les autres à la dignité et à la beauté des corps, lutter sans cesse pour le respect absolu de ces icônes de Dieu si souvent manipulées, méprisées, vendues, blessées et même tuées dans notre société violente qui marchandise toutes choses, y compris les corps humains.


 Et peut-être, aujourd’hui plus que jamais, à travers l’eucharistie mais aussi par la tendre fréquentation de Marie, la glorieuse en tout son être : retrouver la joie des corps faits pour l’amour, le partage, les relations, la compassion, la solidarité, l’art, la prière…en attendant la résurrection.