samedi 28 mars 2015

Méditation pour le dimanche des Rameaux

Drôle de roi !

Plus que ses collègues Matthieu et Luc, l’évangéliste Marc insiste pour montrer le Christ comme roi dans le récit de sa passion. A six reprises, il signale Jésus interpelé comme « roi des juifs ».
On peut le comprendre. Le messianisme juif attendait bel et bien comme sauveur un roi vainqueur descendant de David. Plusieurs prophètes l’annoncent et des psaumes le chantent. Dans l’annonce faite à Marie, il est aussi question de placer Jésus sur le trône de David en vue d’un règne sans fin. Jésus lui-même n’a-t-il pas promis la venue imminente du royaume de Dieu ? Et son entrée triomphale dans Jérusalem ne pouvait que conforter certaines espérances, en même temps que nourrir de profonds malentendus.
Devant Pilate, c’est l’heure de vérité. On habille Jésus d’un vêtement de pourpre, mais c’est pour mieux le moquer. Sur sa tête, on a placé une couronne d’épines. Un roseau fait office de sceptre. Les génuflexions précèdent seulement des crachats. « Salut, roi des Juifs ! »
Et pourtant, dans notre foi, nous croyons bel et bien que c’est lui, notre roi, le sauveur du monde.
Par quelle royauté ? Celle de l’amour qui se donne jusqu’au bout pour manifester dans cette humiliation la puissance de la tendresse de Dieu.
Par quel salut ? Celui qui surgira bientôt du tombeau dans la victoire pascale, lorsqu’il attirera à lui tous les hommes dans un immense élan de vie plus forte que la mort.
Il n’est pas si facile de comprendre que la royauté du Christ ait dû passer par tant d’abaissements pour démontrer le véritable secret de son humble toute-puissance.
Il n’est pas évident d’accepter que le trône de la croix soit la première icône de la gloire du Messie.
Et pourtant le message est clair, rappelé par saint Paul : c’est en devenant obéissant jusqu’à la mort sur la croix que Jésus est devenu Seigneur à la gloire de Dieu le Père, et notre sauveur.
Nous sommes les disciples de ce roi-là, à moins que nous préférions les glorioles des roitelets de ce monde. Nous ne pouvons pas mettre notre espérance dans le salut éternel que Jésus nous offre sans remettre en questions nos façons de « régner » dans nos relations de chaque jour. Vénérer le crucifié, miser sur les énergies de sa résurrection, c’est aussi le laisser transfigurer nos manières de vivre, notamment avec les autres, surtout quand nous avons quelque pouvoir sur eux. Les héritiers de la croix et de la Pâque ne peuvent dominer que par l’amour-serviteur et revendiquer la première place qu’en pratiquant de multiples lavements des pieds.
Vive notre roi ! Heureux celles et ceux qui se sont inscrits comme citoyens de son royaume. Mais as-tu vérifié que tu mets ta joie dans l’imitation de son étrange royauté ?
Aimer. Encore aimer.  

Claude Ducarroz


Article à retrouver sur le site  www.cath.ch  

samedi 21 mars 2015

Homélie pour le 5ème dimanche de Carême

Homélie 5ème dim. Carême 2015

Cette fois, on y est ! C’est tout bon ! Nous sommes le 22 mars. C’est le printemps !
Pas si simple, me direz-vous, et vous avez raison. Mais ça fait du bien d’y croire, n’est-ce pas ?

Et puis il y a comme un petit bourgeon de printemps dans l’évangile complexe que nous venons d’entendre. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul –ça c’est l’hiver-, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » : c’est le printemps. Comme fils d’agriculteur dans un pays de plaine à blé, je comprends bien cela. Encore faut-il le vivre avec et selon le paysan Jésus de Nazareth.

Ce grain de blé, c’est évidemment lui, dans le mystère de la croix, avec sa mort programmée qu’il envisage comme un enfouissement dans l’hiver du tombeau, mais surtout avec le printemps de la pâque par la glorification de la résurrection.

« Nous voudrions voir Jésus », disaient quelques grecs venus pour célébrer la Pâque à Jérusalem. On peut en effet chercher à le voir, comme un spectacle intéressant et peut-être même fascinant : un crucifié qui revient à la vie. Seulement voilà : Jésus nous adresse cette invitation : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive, et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. » Dans l’hiver et au printemps.

L’hiver, on connaît ça. Et ce n’est pas facile à accepter, encore moins à vivre. Peut-être des épreuves de santé, mais aussi des deuils. Qui sait ? Des échecs de couple ou de famille, des problèmes dans le travail ou la solitude de celles et ceux qui se sentent incompris, marginalisés, rejetés, ce que le pape François appelle « la culture du déchet. » Le froid de l’hiver peut alors gagner les cœurs et geler les relations humaines. Où trouver, dans ces circonstances, quelque rayon de soleil pour susciter un brin de printemps ?

Je ne veux pas déprécier la clarté et la chaleur des relations d’amour que les humains –quels qu’ils soient- savent inventer et animer dans toutes les solidarités et compassions que nous repérons autour de nous. De grands élans ou simplement de petits gestes peuvent faire merveilles dans les rigueurs de nos hivers personnels ou sociaux, surtout quand la tendresse s’allie à la beauté pour allumer une espérance plus forte que toutes les nuits.

Mais il faut bien le reconnaître : face à certaines épreuves, et notamment face à la mort –la nôtre et celle des êtres les plus chers-, il nous faut un supplément de soleil qui dépasse nos capacités, même les plus généreuses. Et c’est là que le Christ nous donne rendez-vous. Il nous attend au carrefour de nos cris, de nos larmes, de nos prières. Avec une double promesse : « Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. » Et encore : « Moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
C’est le printemps de l’espérance dès ici-bas, en attendant l’été du royaume de Dieu, dans le plein midi de la résurrection.

Je le sais : cette double perspective n’agit pas comme une baguette magique. La croix demeurera toujours au milieu du chemin, inévitable. Jésus le rappelle sous cette formule déconcertante : « Qui aime sa vie la perd. Qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. »
Les détachements : personne ne peut nier que, tôt ou tard, ils font partie de la vie humaine. Mais le détachement sans autre perspective que la diminution, la perte, le néant : c’est vraiment ça, glisser et finalement demeurer dans un éternel hiver.
Alors que le Christ –et ça change tout-, nous offre l’espérance d’un printemps avec fleurs dès maintenant et fruits dans un au-delà sécurisé par l’expérience pascale de Jésus.

Nous sommes venus à la messe ce matin. Nous portons tous en nous quelques résidus d’hiver, quelques branches mortes, des épreuves qui saignent encore, des déceptions qui nous ont griffé le cœur.

La rencontre avec Jésus -dans les lumières de sa parole, dans la chaude intimité de son eucharistie- peut allumer les premiers rayons d’un certain printemps intérieur, comme une aurore pascale.
Ce contact printanier peut nous faire passer de la consolation au courage, de la compassion à la résilience, de l’espoir à l’espérance.
Jésus lui-même a eu besoin de Symon de Cyrène pour aller jusqu’au bout de sa route. Nous sommes venus communier au meilleur Symon de Cyrène pour nous qu’est Jésus lui-même, avec les dons de son Esprit pour nous fortifier dans la vie, surtout si elle devient parfois pesante pour nos frêles épaules.

 Et sur ce chemin de Carême, nous pouvons aussi donner la main, pour les entraîner avec nous vers l’avant de la foi, à celles et ceux qui peinent, qui tombent, qui n’arrivent pas à se relever.

Personne ne peut prétendre qu’il peut apporter le printemps à lui tout seul, car il n’est pas le soleil. Mais offrir un rayon d’amour, de solidarité, d’accueil : c’est à notre portée, et ça suffit peut-être pour faire pousser quelques perce-neige dans la prairie d’une vie.

« Rends-moi la joie d’être sauvé, dit le psaume de tout à l’heure, qui ajoute : « Qu’un esprit généreux me soutienne. »

Mais oui. C’est le printemps.

Claude Ducarroz


jeudi 19 mars 2015

En communion avec les chrétiens persécutés

En communion avec les chrétiens persécutés
20 mars 2015

« Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal, mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » Jn 18,23.
Ainsi s’exprima Jésus de Nazareth devant le grand prêtre Caïphe, après qu’un garde de celui-ci lui eut administré une gifle.
Pas une gifle en retour de la part de Jésus, mais une double question : sur les faits objectifs : « Montre ce que j’ai dit de mal. » Et subjectivement, un boomerang pour sa conscience : « Pourquoi me frappes-tu ? »
Puis Jésus fut envoyé enchaîné auprès du grand prêtre.

Il faut oser parler, dénoncer, interroger tant sur les évènements que sur les motivations. Le silence ne doit pas devenir le meilleur complice des persécutions. A l’heure des médias mondialisés, il faut continuer de dire la vérité, par respect pour celles et ceux qui souffrent, mais aussi par espoir de conversion chez ceux qui font souffrir. On peut nous enlever beaucoup de choses, mais pas la liberté de penser et le courage de s’exprimer au nom des survivants, des blessés et des morts. A propos des disciples justement, Jésus dit aux Pharisiens la veille de sa passion : « Si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront. »  Lc 19,40.
Nous devons encore crier.

 Et puis arrive le moment où, selon les évangélistes Matthieu et Marc, Jésus se tait et ne dit plus rien. Et son silence est aussitôt sanctionné : « Ils se mirent à cracher sur lui et à lui donner des coups. » Mt 26,67.
Une liberté encore plus profonde que celle de la parole : garder le silence pour se replier totalement en Dieu, pour offrir le sacrifice de l’agneau muet conduit à l’abattoir. Il y a un moment où seul le mystère d’un immense silence peut encore narguer l’anti-mystère de l’horreur.
Dans notre silence de communion eucharistique, nous donnons la main ce soir à tous ces silencieux persécutés, souvent jusqu’à la mort, qui imitent le silence et la liberté de Jésus parce que, comme lui, ils ont déjà tout donné, tout offert.

Et puis Jésus reprit la parole, sur la croix. C’était pour prier. Prier le Père et prier pour ses bourreaux. S’il lui resta encore des paroles à dire, dans les soupirs de sa souffrance, dans le souffle de la fin, ce furent celles-ci, pleinement ajustées au cœur de Dieu : « Père, je remets mon esprit entre tes mains. Lc 23,46…Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Lc 23,34.

Pour confier le dernier mot à l’amour, de Dieu et des autres, y compris de ceux qui le faisaient injustement souffrir et mourir. Avec le Christ et avec les chrétiens, du moment que l’Esprit est émis, transmis au cœur de l’épreuve, la seule victoire promise et permise est celle de l’amour plus fort que la haine, que la violence, que la mort.

Les persécuteurs croient leur avoir tout pris, et parfois ça les fait rire en levant au ciel leur couteau ou leur kalachnikof. Mais c’est évidemment une illusion d’optique. Les vrais vainqueurs sont ceux qui, comme Jésus, donnent leur vie pour ceux qu’ils aiment, y compris pour leurs ennemis. Comment ne pas dire notre reconnaissance émue à celles et ceux qui nous entraînent ainsi vers les plus hauts courages, vers le plus bel amour, au matin de Pâques.


Et nous ici, ce soir. Et demain, et les jours suivants ?
Continuer de vivre en éveillés, jamais complices des silences de l’indifférence. Oser dire encore et toujours quand il s’agit des nôtres et aussi quand il s’agit des autres, car tout homme est une histoire sacrée.
Et aussi déposer nos solidarités dans nos silences priants, dans nos générosités concrètes et discrètes parce que la communion des saints enrôle d’abord la cohorte des martyrs, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui.
Et prier, personnellement et en communauté, pour ceux qui meurent et aussi pour ceux qui font mourir, comme l’a fait Jésus sur sa croix. Il ne faut jamais désespérer, surtout pas de la miséricorde de Dieu et pas non plus de la capacité des larrons d’aujourd’hui, qui sait ? de changer leur cœur en se laissant aimer, y compris par ceux qu’ils persécutent.

Et surtout demander pour nos frères et sœurs cruellement martyrisés, de pouvoir tenir bon jusqu’au bout. Et demander pour nous de ne jamais céder aux sirènes du confort dans la foi, mais plutôt de choisir le courage de persévérer dans la fidélité au Christ et à l’Eglise, quoi qu’il en coûte. Comme eux.

Quand des frères et sœurs souffrent et meurent « à cause de Jésus et de l’Evangile », comment ne pas miser plus résolument, pour être heureux, sur le bonheur promis aux pauvres de cœur, aux doux, à ceux qui pleurent, aux affamés de justice, aux miséricordieux, aux cœurs purs, aux artisans de paix, afin que nous gardions la joie et l’allégresse, s’il advenait que nous soyons persécutés, nous aussi, à cause du Royaume de Dieu.

samedi 14 mars 2015

Homélie 4ème dim. de Carême

Homélie 4ème dim. Carême 2015

J’aime ce mot. Encore faut-il prendre le temps d’explorer tout ce qu’il contient. Ce mot, c’est « miséricorde ». Saint Paul vient de nous rappeler que Dieu est « riche en miséricorde ».

Il y a deux mots dans ce mot : d’abord la misère, la pauvreté, les nôtres évidemment. Et puis le cœur, celui de Dieu qui rejoint nos misères pour en faire autre chose « à cause du grand amour dont il nous a aimés dans le Christ », ajoute saint Paul.

Pour les misères, pas besoin de faire un dessin. Nous ne les connaissons que trop, par expérience personnelle ou communautaire, en examinant sincèrement notre conscience ou en observant l’état du monde qui nous entoure. L’apôtre Paul –encore lui- n’y va pas par quatre chemins : « Nous étions des morts par suite de nos fautes. »

Et c’est à ce moment-là qu’éclate un cœur, autrement dit un immense amour, qui va tout transfigurer. L’évangile nous en donne une icône en spectacle : « Un des soldats avec sa lance perça le côté de Jésus ; et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. » Et juste après : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. »
Tout est dit dans ce silence, tout est montré et démontré dans cette exposition d’un coeur. Car là « Dieu a voulu montrer la richesse surabondante de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus. » 

Le cœur de Dieu qui bat dans la poitrine de Jésus s’est laissé ouvrir pour une opération de résurrection « à cœur ouvert », une véritable transfusion de vie entre Dieu et nous.
Au pied de la croix, il y avait de tout, entre la Vierge Marie et Marie-Madeleine, entre les deux larrons et les soldats moqueurs. C’est dire qu’il y a aussi de la place pour nous, qui que nous soyons. C’est sur eux et sur nous que sont tombés du haut du côté transpercé l’eau qui purifie, le sang qui fortifie. Par la porte du côté ouvert, nous sommes entrés en Dieu. Et là son amour a brûlé nos péchés, dévoré nos fautes, digéré nos misères. Totalement, gratuitement. Miséricordieusement.

Encore faut-il montrer, nous, une double audace.

D’abord l’humble audace de reconnaître notre péché pour dire et redire que nous avons besoin, nous aussi et comme les autres, de cette miséricorde qui donne la vie pascale.
Le cœur du Christ est toujours ouvert, certes, parce qu’il ne peut cesser d’aimer, de nous aimer. Mais il ne force personne à entrer. Il nous redit : « Venez à moi, vous qui peinez sous le poids du fardeau.., car je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos pour votre âme. » Et ailleurs : « Voici que je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. »

Entrer par la porte de la miséricorde –toujours ouverte-, ou ouvrir au Christ qui frappe à la porte de notre cœur contrit: peu importe. L’important, c’est qu’il y ait contact, rencontre, partage d’intimité.

C’est ce qui s’est passé sur la croix pour celui qu’on appelle le bon larron. Il a frappé à la porte de Jésus par cette prière toute d’humilité, après avoir reconnu sa responsabilité dans le mal : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume. » Et la réponse de la miséricorde a aussitôt submergé toute sa misère, qui était pourtant très grande : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. »
Oui, reconnaître nos misères et  les transformer en appel à la miséricorde de Dieu : c’est ça la démarche de conversion durant ce carême. Y compris dans le sacrement de la réconciliation.

Et puis une deuxième audace, celle que nous indique encore l’apôtre Paul : « Dieu nous a recréés dans le Christ Jésus en vue de la réalisation d’œuvres bonnes qu’il a préparées d’avance pour que nous les pratiquions. »
Quelles œuvres ? Eh ! bien justement celles de la miséricorde puisque nous devons être miséricordieux à l’égard des autres comme notre Père est miséricordieux à notre égard.

Comment voulez-vous que le  monde aille mieux, comment voulez-vous que l’Eglise soit plus évangélique si nous ne devenons pas davantage « miséricordieux » ? Autrement dit ouvrir plus largement notre cœur, l’attendrir par des mouvements de tendresse, oser aller jusqu’au pardon avec la force de l’Esprit de Jésus.
Oui, risquer franchement la miséricorde dans les relations de couples et de familles, dans les péripéties du voisinage ou du travail, et jusque dans l’ambiance de nos communautés chrétiennes qui doivent être des modèles de pratique de la miséricorde si elles veulent donner le témoignage de la joie de croire, du bonheur d’aimer, à la manière de Jésus.

« Dieu a tellement aimé le monde, dit Jésus à Nicodème, qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit obtienne la vie éternelle. »

Recourir avec confiance à la miséricorde de Dieu et oser la miséricorde dans nos relations humaines, c’est peut-être cela passer déjà de la mort à la vie, vivre comme des promis à la résurrection.

Autrement dit être plus heureux en faisant des heureux.

Claude Ducarroz


dimanche 8 mars 2015

Homélie 3ème dimanche de Carême

Homélie du 8 mars 2015

On est pour ou on est contre. Qui ? Quoi ? Eh ! bien l’évangile de ce jour.

Les non-violents absolus sont sérieusement gênés par ce Jésus qui, dans le temple de Jérusalem, fait un fouet avec des cordes et chasse les marchands de bétail en renversant les tables, en jetant à terre les monnaies des changeurs. Je rappelle que ces messieurs étaient là en toute légalité, comme on dit autour de certains comptoirs très helvétiques.

Est-ce à dire que cet épisode donne raison à ceux qui voudraient trouver ici une justification évangélique à n’importe quelle violence pourvu qu’elle soit le fruit d’une « sainte colère », après l’avoir aspergée d’eau bénite ? Vous devinez sans doute que la question, et donc la réponse, est bien plus complexe.

Nous sommes au début de l’évangile de Jean. L’évangéliste vient de raconter –et lui seul- l’évènement des noces de Cana en précisant qu’il s’agit là du « commencement des  signes » de Jésus : « Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » C’est sur cette route des signes qu’il nous faut donc marcher pour comprendre qui est Jésus en l’accompagnant pas à pas, notamment durant ce Carême.

Jean veut dérouler devant les yeux de notre foi en voie de développement des évènements qui peu à peu dévoilent qui est ce Jésus de Nazareth, dans sa mission de Messie, dans son identité de fils de Dieu, jusqu’à l’éclosion finale dans le mystère de sa résurrection.
Et dans l’incident du temple purifié, alors que Jésus monte à Jérusalem pour la Pâque juive, il y a déjà l’essentiel de tout cela : maître du temple : c’est le Messie des juifs, la maison de mon Père : c’est le fils de Dieu, relever le temple en trois jours, en précisant qu’il s’agit de son corps : c’est la résurrection.

Et ainsi de suite, dans une gradation significative, l’évangéliste va aligner les signes.
*Jésus va guérir le fils d’un officier royal et un paralysé pour montrer sa puissance capable de faire reculer toute maladie et tout mal.
* Il va multiplier les pains afin de démontrer qu’il est, lui, le pain vivant destiné aux foules, en pointant déjà vers l’eucharistie.
* En marchand sur la mer, il est le maître des forces de la nature.
* En ouvrant les yeux d’un aveugle-né, il se déclare « lumière du monde ».
* Et finalement, juste avant sa passion, en rendant la vie à son ami Lazare, il peut d’ores et déjà affirmer, preuve à l’appui, qu’il est la résurrection et la vie, ce qui se manifestera pleinement dans le mystère de sa propre résurrection.

Que retenir de cette course d’obstacles de Jésus, de ce marathon de signes ?
A y regarder de plus près, et au-delà des détails qu’il ne faut pas surévaluer, nous pouvons finalement répondre dans la foi à cette interpellation des Juifs : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? »
Un double signe en vérité, celui dont parle l’apôtre Paul aux Corinthiens : « Pour ceux que Dieu appelle, ce Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. »
Puissance de vie, sagesse par amour. Tout converge en effet vers la victoire de la vie, jusqu’à ce qu’elle soit « en plénitude » dans le mystère pascal partagé avec l’humanité.
Et le tout par amour, cet amour semé sur sa route vers Jérusalem, au bénéfice des souffrants, jusqu’à sa propre vie donnée sur la croix, cet amour dont les disciples se rappelèrent qu’il faisait son tourment.

Tout par amour et pour la vie : c’est le secret ultime des signes peu à peu révélés par Jésus.
Ce doit être aussi le contenu des signes que nous sommes appelés à manifester, humblement mais clairement, à la face de notre monde, et déjà tout simplement, comme chrétiens baptisés là ou nous vivons. Surtout durant ce Carême.

* Pour la vie, le respect de toute vie, surtout quand elle est fragile, douloureuse, humiliée peut-être, avec cette priorité aux plus pauvres dont Jésus donnait l’ardent témoignage, au point de devenir lui-même un pauvre rejeté sur la croix, « scandale pour les juifs, folie pour les païens », nous rappelle saint Paul.

* Par amour, en ne misant que sur lui pour réussir sa vie, autrement dit faire notre bonheur en collaborant au bonheur des autres, y compris de ceux qui sont peut-être moins aimables, et jusqu’au pardon des offenses, encore l’un des signes donnés par Jésus du haut de sa croix.

Nous ne le savons que trop : il est plus facile de sonner les cloches de l’hostilité que de faire entendre les battements d’un cœur ouvert et tendre.
Il est plus facile d’allumer les feux de la division et du rejet que de propager l’incendie de la solidarité et de la fraternité.
Mais s’il faut prendre le risque d’être un peu prophète en ce monde pour être disciples de Jésus, soyons les prophètes de la vie et de l’amour, et nous serons en bonne compagnie.
En sa compagnie.

Amen.


Claude Ducarroz

lundi 2 mars 2015

Billet du dimanche

Une vie transfigurée
Mc 9,2-10

Dans la vie de Jésus, l’évènement de la transfiguration est une étape intermédiaire entre son baptême et sa résurrection. La théophanie du baptême (Mc 1,11) est rappelée par la parole : « Celui-ci est mon fils bien-aimé », et le mystère de Pâques est anticipé dans la mention des vêtements éblouissants et le dialogue entre Jésus et les trois disciples au sujet de la résurrection d’entre les morts. Avec une touchante délicatesse, Jésus préparait ainsi les apôtres Pierre, Jacques et Jean à traverser avec eux l’épreuve de son agonie (Mc 14,33) sans perdre l’espérance de la victoire pascale.
La présence de Moïse et Elie est aussi là pour faire le pont entre leur foi juive et la reconnaissance du Messie en la personne de Jésus de Nazareth. Tout un programme de catéchèse à partir de signes encore mystérieux, mais déjà gros de révélation essentielle.

Et nous, là dedans ? Qui n’a jamais rêvé d’une vie transfigurée ? Or, en nous aussi, ce processus a commencé par le baptême, quand la Parole de Dieu nous a ouverts à la foi, quand le geste de la renaissance nous a placés sur orbite pascale.
Les énergies de cette première transformation continuent d’agir en nous tout au long de notre existence. Il fait bon en reprendre conscience lorsque nous prenons du recul pour goûter une bienheureuse solitude sur la montagne d’une retraite ou au creux d’un silence rempli de prière. D’ailleurs Jésus n’a-t-il pas été transfiguré « pendant qu’il priait » (Lc 9,29) ? La Parole ruminée est aussi transfiguratrice quand elle est vraiment écoutée.
On peut comprendre Pierre qui souhaitait bâtir trois tentes pour durer dans l’ambiance magique de cet évènement exceptionnel. Mais Jésus, à nouveau seul avec nous, veut plutôt prolonger les bienfaits de la transfiguration en nous accompagnant dans la plaine de nos existences banales, lieu des petites transfigurations par homéopathie évangélique. C’est peut-être ça, le Carême !

En attendant –mais rien ne presse- que le face à face pascal nous plonge définitivement avec le Ressuscité dans la grande transfiguration finale.

Il est encore temps de vivre « en voie de transfiguration » avant de rencontrer le Transfiguré.

                                                                                  Claude Ducarroz


Publié par www.cath.ch