dimanche 28 août 2016

Dédicace de la cathédrale


Homélie
Dédicace de la cathédrale
2016

Le 6 juin 1182, l’évêque de Lausanne, Roger de Vico Pisano, consacrait la première église de la petite citée de Fribourg que Berthold IV de Zaehringen avait fondée dans une boucle de la Sarine, 25 ans auparavant, soit en 1157.
Depuis lors, malgré les vicissitudes de sa longue histoire, sous cette forme ou sous une autre, le culte chrétien n’a jamais été interrompu dans ce sanctuaire demeuré très cher au cœur des Fribourgeois. Sans oublier évidemment celles et ceux qui, venus d’ailleurs ou simplement de passage, apprécient ce qui se passe ici, ce qu’il y a à contempler, à entendre, à célébrer.

Mais j’ose poser cette question, même en ce jour de commémoration et de fête : jusqu’à quand tout cela ?

Naviguant confortablement sur la vague de ce glorieux passé, installés dans le canapé de notre belle et longue histoire, nous risquons toujours de croire que, quoi qu’il arrive, nous ne risquons rien, bien protégés que nous sommes des soubresauts des évènements.
Et pourtant, nous devrions avoir appris, y compris à l’abri de nos montagnes tutélaires, que toutes les civilisations sont mortelles, y compris la nôtre, même si l’Eglise peut compter sur les promesses du Christ qui l’assure qu’elle l’emportera finalement sur les puissances de l’enfer.

* Au temps de sa splendeur chrétienne, l’Afrique du Nord comptait des centaines de diocèses. Presque tout a disparu en très peu de temps.
* Les pays qui virent éclore le christianisme, au Proche Orient, ne comptent plus que de petites minorités chrétiennes, souvent brimées, voire persécutées.
* Mais revenons chez nous. De toute évidence, et de nombreuses constatations le prouvent chaque jour davantage, le christianisme est en lente mais forte régression. Inexorable, disent certains. Combien de familles, traditionnellement chrétiennes, voient leurs enfants abandonner la communion avec l’Eglise, et leurs petits-enfants être non baptisés, non catéchisés.

Dans cent ans, il y aura sûrement encore des touristes pour visiter cette magnifique cathédrale. Mais y aura-t-il encore des croyants pour participer aux célébrations religieuses ? D’ailleurs, y aura-t-il encore des liturgies ici ? Il y a tant de belles églises vides sous nos latitudes, et même certaines ont été transformées en salles de spectacle, en bibliothèques ou en restaurants. Je vous passe sur des usages bien moins dignes.

Pas de panique, évidemment. Personne, parmi nous, ne doit se sentir la vocation de sauver l’Eglise. Notre humanité a été sauvée par le Christ mort et ressuscité, et l’avenir de l’Eglise est d’abord dans les mains de Jésus. Il  ne cessera jamais, chez nous et jusqu’au bout du monde, de présenter le trésor de son évangile, d’offrir la grâce des sacrements, de rassembler la communauté des croyants. Ici ou ailleurs, ici et ailleurs.



Cependant tout nous invite aujourd’hui à prendre un peu de temps pour réfléchir à l’avenir de ce christianisme qui nous tient à cœur puisque nous sommes là ce matin, même si nous sommes peu nombreux.

Oui, tout.
* Je veux dire le Christ lui-même qui ne cesse de nous interpeler sur notre foi puisque celle-ci est un cadeau offert à notre liberté. S’il y a son offre, il y a aussi notre réponse, toujours à approfondir pour mieux l’exprimer. « Qui suis-je pour toi ? »
* Je veux dire les statistiques, car sans révéler un quelconque mystère, elles sont un peu le thermomètre de notre situation religieuse. Elles nous indiquent la température de notre civilisation qui est en train de virer du christianisme vers un certain paganisme moderne.
* Je veux dire aussi un certain islam, et pas seulement celui qui nous bouscule par ses violences et ses crimes. Oui, la présence accrue chez nous de musulmans sincères et pacifiques nous incite à réfléchir plus sérieusement sur le pourquoi et le comment de notre foi chrétienne.
Il nous faut certes, conformément à nos valeurs d’évangile, résister à la tentation de la contre-violence qui ne provoquerait que conflits irrationnels et guerres inhumaines dans lesquelles nous aurions tous à y perdre notre âme.
Mais il est grand temps que les chrétiens se réveillent pour témoigner courageusement et humblement de leur foi, de leurs valeurs, de leur civilisation, dans le concert cacophonique de nos sociétés pluralistes.

Et je me permets quelques suggestions plus concrètes.
* Il n’y a pas de christianisme sans le Christ. Notre attachement au Christ, et notamment à sa parole et à ses sacrements, est à la base de tout, de nos fidélités ancestrales et de nos renouveaux très nécessaires.
* Ce ne sont pas les prêtres seuls qui vont améliorer la situation religieuse. Nous sommes tous solidaires de cette belle aventure chrétienne dans l’histoire. Tous les baptisés, et par conséquent vous les laïcs autant que nous, doivent s’impliquer pour « faire Eglise », pour animer nos communautés, pour rayonner de l’Evangile dans le monde. Dans une société, s’il n’y a plus que des membres passifs, on ne donne pas cher de son avenir.
* La misère du christianisme, comme le montrent bien des reculs dans l’histoire, c’est la division des chrétiens. Il est urgent de progresser dans l’œcuménisme si nous voulons présenter un témoignage commun face aux défis à relever, toujours plus urgents, toujours plus importants.

Cette cathédrale doit demeurer la vraie maison du peuple, accueillante à tous dans la diversité des convictions humaines. Elle doit aussi rassembler dans la ferveur les communautés chrétiennes qui viennent y puiser des énergies nouvelles pour tenir bon et rayonner dans le difficile contexte où nous sommes.
Repartons donc d’ici, non sans avoir admiré une fois de plus la beauté des choses que les artistes ont édifiées d’abord pour la gloire de Dieu, avec cette conviction rappelée par l’apôtre Paul en un temps où il n’y avait encore ni églises ni cathédrales : « N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous…Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous ! »

Quel honneur ! Quel bonheur ! Quel programme !

Claude Ducarroz





dimanche 14 août 2016

En la fête de l'Assomption de Marie

Assomption de Marie
2016

Une femme –Marie de Nazareth- emportée au ciel avec son corps et son âme : tel est le mystère que l’Eglise catholique célèbre en ce jour. Je dis « l’Eglise catholique » puisque les Eglises orthodoxes parlent plutôt de la « dormition » de Marie et les Eglises protestantes rejettent ce dogme en alléguant qu’une telle révélation ne figure nulle part dans la Bible, ce qui est vrai. Il faut reconnaître que cette vérité –devenue traditionnelle en catholicisme- n’affleure timidement que dans quelques textes du 4ème siècle et n’a été proclamée comme dogme qu’en 1950 par le pape Pie XII.

La mère de Jésus le Christ, élevée au ciel dans toute sa personne : est-ce l’opium du peuple ou l’espérance de l’humanité ?

Il ne manque pas de critiques, voire de contestataires –aujourd’hui encore- pour relever qu’un tel privilège, mis en rites dans les célébrations liturgiques et mise en scène par la piété populaire, peut ainsi compenser à bon marché, en la seule personne de Marie de Nazareth, tout le contentieux qui existe entre l’Eglise et les femmes.
A travers ce glorieux phénomène de l’assomption, ne veut-on pas exalter unilatéralement la sainteté par la virginité et la maternité, sans oublier de proclamer « reine dans le ciel » celle qui s’est surtout définie comme une petite servante sur la terre ? Vierge, mère, servante : ce serait là la quintessence des images commodes de la femme dont l’Eglise –surtout la catholique- use depuis toujours et abuse encore maintenant.

Il est donc temps de préciser certaines choses basiques.

Ce qui arrive à Marie dans le mystère de l’assomption n’est qu’une conséquence entièrement dérivée du mystère pascal de Jésus. C’est toujours de là qu’il faut partir et repartir. Tout devient incompréhensible et arbitraire si Marie n’est pas totalement référée à son fils. C’est la solidarité avec lui –non sans hauts et bas dans sa marche de foi- qui l’a conduite à cette ultime et parfaite communion : partager sa gloire de ressuscité avec la plénitude respectée de son humanité intégrale, donc corps et âme.

C’est donc le lien exceptionnel et même unique, depuis le corps de la mère jusqu’à la foi de la croyante, qui permet d’expliquer le destin particulier de cette femme parvenue sans entrave dans le Royaume de Dieu.

Encore faut-il ne pas exagérer une telle particularité, au risque de tomber dans la mariolâtrie. Si le Christ –qui était aussi pleinement homme- est bel et bien ressuscité d’entre les morts comme premier-né d’une multitude de frères et sœurs –que nous sommes-, l’assomption de Marie est une anticipation prometteuse plutôt qu’un privilège exclusif. Il lui arrive, dans la foulée de l’ascension du Christ, ce qui nous arrivera un jour à nous –du moins nous le souhaitons- même si nous ne pouvons pas nous le donner à nous-mêmes.

Dans l’évènement fondateur de la résurrection de Jésus et de son entrée définitive dans le royaume de Dieu, il y a en prémices l’accueil de sa mère toute sainte et aussitôt après, en point de mire à venir, notre accueil à nous, dans notre pleine humanité sauvée.
L’assomption de Marie vient donc confirmer et renforcer l’espérance jaillie au matin de Pâques, et non pas distraire notre attention ou notre foi sur un privilège qui serait tellement unique qu’il en deviendrait un monopole marial inaccessible.

Derrière toutes ces liturgies et processions, derrière toutes ces peintures et sculptures associées à la fête de ce jour, il y a notre espérance en la vie éternelle dans notre humanité respectée et transfigurée.
Pas à cause de Marie, mais à cause de Jésus ressuscité, et certes avec Marie, celle qui nous a précédés pour mieux nous accueillir, le moment venu.

De sa gloire entièrement reçue comme un pur cadeau, elle nous tend déjà la main. Donnons-lui la nôtre, sans jamais quitter des yeux notre frère et notre Seigneur, Jésus le ressuscité, le vivant pour l’éternité.


Claude Ducarroz

Au feu! A l'eau!

20ème dimanche du temps ordinaire
Au feu ! A l’eau !
Luc 12,49-53

Par les temps qui courent –violences et guerres-, l’évangile de ce dimanche pourrait inciter certains à choisir des ripostes musclées, voire à attaquer des ennemis réels ou imaginaires, puisque Jésus nous promet la guerre et non pas la paix sur la terre.

Ici Jésus de Nazareth revient sur sa mission, telle qu’il l’imagine et telle qu’il a déjà commencé à la réaliser. Elle ne se déroule pas sans contradiction ni sans opposition. La croix pointe déjà à l’horizon. Il est bon que les communautés chrétiennes s’en souviennent, celles auxquelles s’adresse l’évangéliste Luc.

Apporter un feu sur la terre ! C’est une composante de l’imagerie biblique qui décrivait la venue du Messie et le jugement de Dieu. Le Christ a éprouvé cette brûlure dans l’épreuve de sa passion et de sa mort, ce qu’il nomme ensuite son « baptême ». Par ces mentions, Luc fait sans doute mémoire de ce qui a aussi touché les premiers chrétiens dans leur existence quotidienne, à savoir leur baptême « dans l’eau et le feu », mais aussi leurs souffrances endurées par fidélité à l’évangile. Comme Jésus en somme.

Peut-être avaient-ils rêvé d’un Messie qui apporterait une paix tranquille, comme l’avaient  annoncé les anges de Noël. Il leur a fallu affronter des divisions, toujours par fidélité au Christ, et cela jusque dans les familles.  En attendant le retour du Christ, les choix radicaux pour Jésus ne peuvent qu’être risqués. Encore faut-il assumer cette condition chrétienne dans l’esprit de Jésus. Et ça peut aller jusqu’à subir le feu sans jamais l’allumer ailleurs, ça peut signifier passer par le baptême de la croix en répondant par le pardon, ça peut aboutir à des divisions inévitables sans en fomenter de nouvelles.

A Pentecôte –dont Luc a si bien parlé dans les Actes-, il y eut aussi du feu, et bientôt des baptêmes pour le salut de tous. A notre tour d’apporter ce feu-là et ce baptême-là dans notre humanité, nous les apôtres d’aujourd’hui, nous les enfants de la Pâque et de la Pentecôte. Nous l’Eglise en ce monde.

Nous pouvons alors partager l’impatience du Christ. Comme nous voudrions que notre société soit plus humaine, que l’Eglise soit encore plus transparente à l’Esprit de la Pentecôte. Pour avancer sur ce chemin, sans céder aux séductions de certains incendiaires, il nous faut revenir sans cesse à la lumière de la Parole de Dieu et aux inspirations de l’Esprit.
A l’eau de la vraie vie. Au feu du véritable amour.


Claude Ducarroz