samedi 12 novembre 2016

Célébration de mémoire

In memoriam 2016
Homélie

Guerre et paix.

Plusieurs fois, en seulement 40 ans –soit de 1476 à 1516-, Fribourg a été associé de près à la grande Histoire européenne. Quelques dates suffisent à le rappeler.

* 22 juin 1476. Les troupes fribourgeoises contribuent à la victoire des Confédérés sur le duc de Bourgogne Charles le Téméraire à Morat. Le commandant des soldats de Fribourg, Petermann de Faucigny, repose encore ici dans notre cathédrale.
* 22 décembre 1481. In extremis, Nicolas de Flue empêche la guerre civile entre Suisses. Dans le traité de réconciliation de Stans, Fribourg est admis dans la Confédération. Un vitrail de notre cathédrale rappelle cet évènement majeur de notre histoire.
* 20 décembre 1512. La fondation du Chapitre collégial de Saint-Nicolas à Fribourg n’est pas sans lien avec la présence de soldats fribourgeois sur les champs de bataille des guerres d’Italie. Peter Falk, avoyer de Fribourg, sut tirer les bonnes ficelles au Vatican pour obtenir ce privilège.
* 15 septembre 1515. Le jeune roi de France François 1er bat les Suisses à Marignan, près de Milan.
* Et le 29 novembre 1516 –il y a exactement 500 ans-, une paix perpétuelle est signée entre le royaume de France et les Suisses, précisément ici à Fribourg.

Vous pourriez me dire : que viennent faire aujourd’hui ces rappels historiques dans une messe dominicale à la cathédrale ?

Il y a le fait que cette célébration veut justement faire mémoire des soldats et pompiers de chez nous qui ont offert leur vie pour notre patrie, sans oublier leurs familles qui ont assumé les douloureuses conséquences de ces deuils. Grâce à Dieu, depuis 1848, les soldats suisses n’ont  plus jamais été engagés dans des guerres sanglantes. Mais au cours de ce qu’on appelle « le service actif », certains sont morts sur le front de la paix. Ils ont droit à notre reconnaissance.

Et puis, si vous avez bien écouté l’évangile de ce jour, Jésus parle de guerres, de tremblements de terre, d’épidémies, de persécution : autant de « phénomènes effrayants », comme il le dit lui-même, qui renvoient étrangement à notre actualité la plus pénible.

Qu’est-ce à dire ?

Le bon sens devrait déjà nous amener à cette conclusion. Puisque les guerres finissent toujours par des traités de paix, voire des pratiques de réconciliation, pourquoi ne pas commencer par là, à savoir travailler surtout à éviter les guerres, ce qui économiserait des dégâts incommensurables aux humains et aux trésors de la culture et de la nature ? C’est ce qu’avait compris l’apôtre de la paix Nicolas de Flue, en empêchant les Suisses de se faire la guerre entre eux. Et Fribourg a largement profité de cette non-guerre.

Et puis, si le tableau brossé par Jésus est en effet effrayant au point d’être encore réaliste aujourd’hui, il faut préciser certaines choses, toutes contenues dans cet évangile.

* A aucun moment, Jésus invite ses disciples à faire la guerre. Il leur signale seulement les malheurs qu’ils auront à subir –et non pas à provoquer-, justement à cause de leurs messages et leurs pratiques de paix dans ce monde. Oui, « on portera la main sur vous et l’on vous persécutera …parce que vous agirez à cause de mon nom ». Donc comme artisans de justice, de fraternité et de  paix. Et il ajoute : « Cela vous amènera à rendre témoignage. »

Comment ne pas penser à tous ces chrétiens qui, aujourd’hui, souffrent et meurent dans certains pays, non pas en faisant la guerre, mais en subissant les guerres des autres, y compris de ceux qui, hélas ! instrumentalisent leur religion pour massacrer celles et ceux qui ne pensent pas ou ne vivent pas comme eux ?
Comment ne pas se sentir solidaires, de bien des manières, de ces frères et sœurs qui sont martyrisés à cause de leur fidélité au nom de Jésus, ce même nom sacré qui nous rassemble ici ce matin ? Car nous sommes dans la même Eglise.

L’évangile de ce dimanche, dans sa couleur tragique, n’aurait-il rien à nous dire, à nous qui avons le privilège de vivre –encore- dans une société de liberté civique et de respect des droits humains ? Pas du tout.

Souvenez-vous. Au départ, Jésus s’est adressé à des disciples éblouis par la beauté et la majesté du temple de Jérusalem. Et quelques années plus tard seulement, il n’en resta pas pierre sur pierre. Nos institutions, même démocratiques, nos succès, même économiques, nos monuments de culture demeurent des réalisations fragiles, si nous ne les transfigurons pas du dedans par des valeurs humaines plus profondes, qui ont nom solidarité, justice, générosité, sens de l’accueil, respect de la création.

Et puis il y a cet avertissement : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer ». Les pires catastrophes peuvent commencer par des slogans aguicheurs, des propagandes vicieuses, des conditionnements perfides, si bien servis aujourd’hui par la puissance presque infinie des médias modernes qui, comme vous le savez, peuvent être la meilleure ou la pire des choses suivant l’usage qu’on en fait.
Alors, dans ce tohu-bohu de tous les chambardements, comme nous avons besoin, plus que jamais, de temps pour réfléchir, de repères pour discerner, de spiritualité pour approfondir, de souffle intérieur pour réagir avec lucidité et courage.

Quelqu’un, une fois de plus, se propose comme compagnon de notre humanité en pèlerinage risqué en ce monde. Il nous dit, pourvu qu’on l’écoute et qu’on le fréquente : « Je vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle vos adversaires ne pourront pas s’opposer. »
Mais comme disait aussi Jésus : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Sur la terre. Et à Fribourg ?
Souvenez-vous de la dernière phrase de l’évangile de ce jour : « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »


                                                                       Claude Ducarroz

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