Homélie
4
mars 2018
C’est gênant ! Qu’en pensez-vous ?
Oui, il y a quelque chose de gênant à voir le
Christ faire un fouet, chasser marchands et bêtes du temple, jeter par terre la
monnaie des changeurs et renverser leurs
comptoirs.
Si Jésus est le fils de Dieu, l’homme parfait,
comment a-t-il pu se laisser aller à une telle colère, non seulement en paroles
mais aussi en actes ?
Peut-être avions-nous oublié que Jésus de
Nazareth était d’abord un homme, né d’une femme, en tout semblable à nous, sauf
le péché. L’être humain, même le plus saint, n’est pas nécessairement parfait
en tout.
Jésus a éprouvé nos sentiments. Il s’est étonné
de la dureté de compréhension chez ses disciples, pourtant placés à bonne
école. Il a pleuré sur Jérusalem et surtout près du tombeau de son ami Lazare,
alors même qu’il avait décidé de le ramener à la vie. Il s’est fâché quand il a
vu que ses disciples empêchaient les enfants de venir vers lui. Et ainsi de
suite.
Ce n’est pas en deshumanisant Jésus qu’on va
mieux respecter sa divinité, laquelle a surtout éclaté après sa résurrection, lors
de sa victoire totale sur tout mal et même sur la mort.
Et pourquoi donc cette sainte colère de Jésus,
me direz-vous ?
Il y a une raison immédiate, assez évidente, et
une raison plus secrète, mais la plus profonde.
* Jésus s’est énervé en voyant comment le
temple de Jérusalem, le lieu le plus sacré de la foi juive, était devenu un
vaste marché, un souk commercial, où chacun pouvait profiter de la religion
pour faire de juteuses affaires.
A travers son geste habité par une certaine
violence, Jésus exprime sa répugnance à l’égard d’une telle trahison. C’était
insupportable pour Jésus, le Messie. On peut le comprendre.
* Mais il y a derrière cet épisode déconcertant
une autre démonstration. Jésus signifie par là la fin d’une religion et le
début d’une autre. Ceux qui l’accusent de maltraiter le temple comme s’il en
était le maître et seigneur, Jésus les fait glisser vers un autre temple, celui
de la nouvelle religion qu’il va bientôt inaugurer dans sa mort et sa
résurrection.
Car le temple de Jérusalem, avec toutes ses
merveilles, sera bel et bien détruit. Il le sera le 29 août de l’an 70 par les
Romains, et jamais reconstruit depuis lors. Quand au nouveau temple, le vrai,
le définitif, à savoir le corps de Jésus, il sera aussi détruit par la mort sur
la croix, mais dès le matin de Pâques, ce sera lui, son corps ressuscité qui
deviendra le centre du nouveau culte, le lieu divin de la nouvelle religion.
« Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai », dit Jésus
aux juifs du temple, en ajoutant « qu’il parlait du sanctuaire de son
corps ».
Nous ne sommes plus dans la religion d’un
temple bâti par des mains humaines. Nous sommes dans la religion d’une
communion avec quelqu’un, possible toujours et partout, par le rassemblement
autour de son corps livré et par la constitution mystérieuse de son corps
communautaire qu’on appelle l’Eglise.
Autrement dit : si nous avons encore
besoin -mais pas toujours- de temples ou églises de pierres, si possible parés
de beauté, le plus important dans ces édifices, c’est de faire corps avec le
Christ en communiant à son corps eucharistique, comme nous le faisons ce matin.
Tout le reste est utile, mais pas nécessaire.
Les premiers chrétiens, et tant d’autres après eux aujourd’hui encore, ont dû
édifier l’Eglise du Christ avec des moyens pauvres. Ils l’ont surtout fait mais
avec des croyants ardents à vivre leur foi dans l’amour. C’est ce que laisse
entendre l’évangile lui-même : « Quand Jésus se réveilla d’entre les
morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela et crurent à la parole
qu’il avait dite. »
Que retenir de tout cela, nous les chrétiens
d’aujourd’hui ?
Nous pouvons avoir les plus belles cathédrales
–la nôtre en est une-, les plus somptueux sanctuaires, les plus prestigieux
monastères, des institutions séculaires : ce n’est pas cela qui fait
battre le cœur de l’Eglise, ce n’est pas cela qui confère un avenir à
l’évangile en ce monde.
L’Eglise du Christ, celle qui a la garantie des
paroles de la vie éternelle, ce sont les personnes des croyants, celles et ceux
qui habitent ces monuments, en s’y rassemblant autour de la parole de Dieu, en
y célébrant les mystères de la foi, en venant y puiser des forces vives pour
témoigner du Christ dans tous les réseaux humains de la société.
Une
cathédrale peut être belle. Elle ne sera jamais aussi belle que lorsqu’un
peuple s’y retrouve pour y chanter les louanges de Dieu dans l’unanimité de la
foi et dans la fraternité universelle de la charité.
Au Canada, j’ai vu une belle église moderne.
Elle était devenue un restaurant. En Belgique, j’ai cru entrer dans une
ancienne église gothique. C’était une bibliothèque. A Neuchâtel, un temple a
été transformé en théâtre. Pouvez-vous garantir que ça n’arrivera jamais à
Fribourg ?
La
réponse à cette question dépend de chacun de nous. Jésus nous a dit :
« Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu
d’eux. »
Quand il n’y a plus âme qui vive, même dans un
lieu sacré, la bâtisse peut encore briller dans le registre de la culture. Mais
sans le culte, est-ce encore un sanctuaire ?
Peut-être avez-vous l’impression que je vous
dis tout cela avec une certaine gravité. C’est vrai. Il m’arrive de craindre,
d’avoir envie de pleurer. Mais ce matin, je voudrais surtout vous accueillir
fraternellement, vous qui êtes venus. Et vous remercier d’être là. Nous pouvons
encore, grâce à Dieu et aussi grâce à vous, faire Eglise ici dans l’admiration
pour la beauté du lieu, mais sans trop miser sur elle pour la pérennité de
l’Eglise. Car c’est la fidélité des croyants qui constitue le socle sur lequel
la communauté chrétienne est bâtie, y compris lorsqu’il y a de belles églises.
N’oublions jamais cette parole de l’apôtre Paul qui n’avait ni
églises ni cathédrale. Il fait écho aux paroles et gestes du Christ dans
l’évangile de ce jour. Il insiste : « Ne savez-vous pas que vous êtes
le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Car le temple
de Dieu est sacré et ce temple, c’est vous. »
Claude Ducarroz
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