samedi 12 mai 2018

Retour à l'essentiel

Retour à l’essentiel

Faut- il en rajouter une couche ? Qui n’a pas encore exprimé quelque pensée profonde à l’occasion des 50 ans de Mai 68 ? Chacun y est allé de son analyse, de son bilan, de sa  critique. Je ne vais donc pas prolonger le concerto discordant des grandes déclarations définitives. Qu’il me suffise de transcrire un état de la situation actuelle, que je trouve particulièrement pertinent de la part d’un professeur de médecine et de psychologie. Nous vivons dans une société addictive,  obsédée par le quantitatif, poussant à la distraction, c’est-à-dire à éviter l’essentiel. Il semble bien que nous sommes dans une crise de civilisation dont les symptômes sont l’addiction, l’agression et la dépression. Dr Jacques Besson
Rude diagnostic !
Il ne sert à rien de pousser des gémissements désolés, de pleurer dans son coin ou de se retirer sous sa tente passéiste. Ne faut-il pas revenir plutôt à cet essentiel qui constitue l’être humain, quel que soit le contexte de son aventure en ce monde ? On ne sera pas étonné d’y redécouvrir une valse à trois temps en guise de danse pour le bal de l’existence ici-bas.
* Exister, et apprécier de vivre, en sachant qu’il y a une croissance continue dans le voyage de la vie, à condition de donner du temps au temps, patiemment.
* Etre libre, user de cette liberté, mais aussi se savoir pleinement responsable, afin de produire des fruits positifs pour tous.
* Se respecter soi-même en toutes ses dimensions, et respecter les autres dans ces mêmes dimensions, pour jouir d’un certain bonheur, largement partagé.
* Apprécier la nature si généreuse, mais aussi créer de la culture en ses magiques expressions, jusqu’au culte d’une continuelle célébration de la beauté.
* S’éprouver soi-même comme un profond mystère, et le discerner chez les autres, en promouvant ensemble la spiritualité de la personne.
* Se savoir aimé, aimer à notre tour en toutes circonstances et répandre autour de nous le goût d’aimer.
Je crains que ces quelques réflexions de bon sens –sans prétendre être exhaustives- apparaissent comme des conseils issus d’une morale aujourd’hui dépassée. Peut-être. A moins que ce soit tout simplement un humanisme de base.
Car que serait une vie humaine sans croissance, sans compter avec le temps ? Que devient une liberté sans le sens de la responsabilité ? Serait-ce encore un vrai bonheur, celui qui s’édifierait sur le malheur des autres ? Pouvons-nous investir dans la culture sans commencer par respecter la nature ? Le mystère qu’est l’être humain n’est-il pas habité par un certain esprit, avec ou sans religion subséquente ? Et finalement, pour le dernier mot, donnons la parole à Jacques Brel, qui n’avait rien d’un bigot : « Quand on n’a que l’amour pour vivre nos promesses sans nulle autre richesse que d’y croire toujours… »
Vive Mai 2018 !

A paru sur le site cath.ch

Claude Ducarroz


2833 signes

dimanche 6 mai 2018

Homélie du 6ème dimanche de Pâques

Homélie
6ème dimanche de Pâques
6 mai 2018

Savez-vous compter jusqu’à 12 ? Si oui, vous pouvez relire sans problèmes les 8 versets de l’Evangile de ce dimanche : ils contiennent 12 fois les mots aimer ou amour. Sans vous choquer, j’ai pensé spontanément à la belle chanson de Jacques Brel, qui n’était pas spécialement pieux : « Quand on n’a que l’amour à s’offrir en partage au jour du grand voyage qu’est notre grand amour. »

Précisément, il s’agit ici du discours de Jésus avant son grand départ vers le mystère pascal, la croix, la pâque. 12 fois. C’est une idée fixe, c’est une obsession. Essayons de mieux comprendre.
Ici, c’est un amour en cascade, avec une logique imparable pour passer d’un amour à un autre. Et finalement toujours le même.

Jésus commence tout en haut. « Comme le Père m’a aimé… »
On n’entend rien au mystère de l’amour si l’on ne part pas de cette affirmation centrale, essentielle, vitale : « Dieu est amour », dans la parfaite communion du partage affectueux entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. L’Amour majuscule, l’amour source, c’est Dieu en Trinité. Le Père aime le Fils dans la fièvre ardente du Saint-Esprit.
Mystère insondable, ineffable, inexprimable. Et pourtant Jésus, le fils de Dieu fait homme, nous a conduits jusqu’à l’orée de cet abîme d’amour en nous aimant comme le Père l’aime, jusqu’au bout, infiniment.   

Sur la croix, mais déjà tout au long de sa vie parmi nous, il en a fait la démonstration : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Il l’a fait, jusqu’à la dernière goutte de son sang, crucifié et eucharistique.
Qui que nous soyons, Dieu nous aime, Jésus nous aime, et il continue de nous aimer, en le montrant et en le démontrant de multiples manières. Et il insiste : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. »

« Moi je vous ai choisis, ajoute Jésus, pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. » Quel fruit ? « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres. » Encore et toujours l’amour !

Seulement voilà, face au tsunami de l’amour de Dieu envers nous, nous avons de redoutables pouvoirs en nous pour l’empêcher d’aller plus loin, de féconder l’Eglise, d’irriguer toute l’humanité. Il suffit d’être sensible à l’actualité de notre monde. Comment des humains peuvent-ils infliger à d’autres humains – leurs semblables- autant de souffrances, de violences, d’injustices ?

Je vous l’avoue : devant l’abîme du mal, en nous et autour de nous, je n’ai pas de réponse toute faite, je m’interroge encore, et il est bien permis d’interroger Dieu lui-même.
Finalement, les belles théories, mêmes religieuses, nous paraissent bien dérisoires devant le triste spectacle de certaines tragédies. Alors, n’y a-t-il plus rien à faire, sinon gémir ou pleurer dans son coin, ou alors crier sa révolte et maudire Dieu sait qui ?

Heureusement, il y a précisément cet évangile. Si nous sommes d’abord les fruits d’un amour aux dimensions même de Dieu, si nous avons éprouvé cet amour en contemplant Jésus Christ, si nous sommes ouverts aux signes de cet amour qu’il nous offre encore, notamment dans son Eglise, alors il est possible de nous relever, de tenir debout, de nous remettre à marcher dans ce monde. Avec cette feuille de route : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »

Le salut du monde, comme le bonheur de l’homme, comme la mission des chrétiens, ce sera toujours un sursaut d’amour. D’ailleurs, tant de frères et sœurs –nos aînés les saints, mais aussi les saints et saintes d’aujourd’hui- sont là pour nous faire cette démonstration, pour nous donner la main de leurs exemples, pour nous entraîner dans la danse de la charité sans barrière et sans frontières, "Quand on n’a que l’amour à offrir en prière pour les maux de la terre, en simple troubadour », chantait Jacques Brel.

Plus que jamais, dans le contexte d’aujourd’hui, les chrétiens doivent être de courageux combattants de l’amour universel, celui qui s’investit dans nos relations les plus banales et les plus quotidiennes, celui qui lutte aussi pour la justice et la paix, celui qui seul peut révéler au monde le vrai visage du vrai Dieu.

Il ne faut jamais regretter d’avoir aimé, au moins un peu, comme Dieu nous aime. Contre vents et tempêtes contraires, les chrétiens ne peuvent cesser de semer prophétiquement autour d’eux des semences d’amour, par des dons et même des pardons. « Quand on n’a que l’amour pour habiller matin, pauvres et malandrins  de manteaux de velours. », chantait Jacques Brel.

Il met en danger sa foi, le chrétien qui cesserait de croire à l’amour, de miser sur l’amour, de prendre le beau risque d’aimer, encore et toujours. Encore Jacques Brel : « Quand on n’a que l’amour pour vivre nos promesses sans nulle autre richesse que d’y croire toujours. »

Sans doute, il n’est pas toujours facile de savoir ce que veut dire vraiment aimer quand les circonstances sont complexes et embrouillées, quand les personnes ne sont pas nécessairement aimables, voire quand elles ne nous aiment pas en retour.
Alors l’Esprit-Saint, sollicité dans la prière, vient à notre secours pour nous permettre de mieux discerner et surtout pour avoir le courage d’aller au bout de la générosité, malgré tout.
Et puis le partage entre frères et sœurs de bon conseil peut être utile, voire nécessaire, pour aimer non pas aveuglément mais lucidement. Mais aimer quand même.

Reste qu’au terme de notre route humaine ici-bas, nous ne serons interrogés que sur l’amour, puisque, nous répète Jésus, « je vous dis cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. » N’est-ce pas lui encore qui dit un jour : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ? »
Et Jacques Brel est encore d’accord : « Quand on n’a que l’amour pour qu’éclatent de joie chaque heure et chaque jour. »

Claude Ducarroz